Les
confinement imposés par la pandémie de la covid a exposé leur engagement
pour libérer l’activité des artistes ; ensemble (Insieme) les deux solistes
lyriques, chacun champion dans leur catégorie vocale, se sont liés
indéfectiblement, en particulière artistiquement comme en témoigne ce
somptueux récital à deux voix qui sublime surtout l’écriture verdienne de la
Forza del destino et d’Otello… Voix féline, souple et enivrée, d’un
vérisme éperdu, Jonas Kaufmann ensorcèle en Rodolfo, poète tendre et
passionné auquel le Marcello de Tézier toute en raucité plus directe et
franche, offre un soutien riche en compréhension fraternelle : les deux voix
se complètent et s’enrichissent dans leur première scène de La Bohème
(Puccini). Vériste et d’un dramatisme intense, – énoncé tout en finesse
par Pappano, le tableau suivant extrait de La Gioconda de Ponchielli
affronte deux profils viriles distincts : le Barnaba de Tézier – jaloux et
manipulateur, piégeant dans ses rais (dignes d’un Iago que l’on écoutera
plus loin), l’Enzo de Kaufmann, victime amoureuse de Laura, et qui malgré
lui sera le complice d’un infâme stratagème contre La Gioconda… angélisme
éperdu ici, noir démonisme et cynisme invincible là. Le contraste est
parfaitement caractérisé et signe un superbe instant dramatique,
psychologiquement terrifiant, théâtralement fin et magnifiquement déclamé.
Parmi les pépites de ce récital lyrique, Les Vêpres Siciliennes de
surcroît en français, éclairant le duo passionnant entre Montfort (Tézier)
et Henri (Kaufmann) : confrontation de deux guerriers antagonistes que les
caprices d’un destin machiavélique a fait celle d’un père et de son fils,
démunis mais déterminés chacun dans la défense de leur tribu ; la séquence
du jeune Verdi brille par son intensité héroïque.
Pour l’avoir chanté
sur scène, le duo de Don Carlos (en français donc, sur les planches de
l’Opéra Bastille) et de Rodrigue, marquis de Posa, défenseur des Flandres
soumises, les deux solistes exposent l’ardeur et la vaillance de deux
personnalités, idéalistes, foudroyées par le Souverain Philippe II (qui a
pris pour femme celle qui était d’abord fiancée à son fils Carlo :
Elisabeth). Dommage que la prise de son comme la tenue de l’orchestre
manquent de transparence, de détails et de précision pour une scène où le
texte et sa déclamation sont si proches du théâtre. Partisans libertaires,
les deux entonnent à 2 voix fraternelles, le fameux hymne qui scelle leur
destin (« Dieu, tu semas dans nos âmes / un rayon des mêmes flammes / …).
Enfin le miracle de complicité et d’intelligence à deux, se réalise a
voce murmurée, sur le souffle, sans à-coups forcés d’aucune sorte, dans le «
duettino » de La Forza del destino, où Alvaro et Carlo partagent la même
couleur, le caractère fraternel dans la dignité subtile, aux phrasés
élégantissimes (l’Alvaro de Kaufmann déployant des couleurs et une
intonation d’une rare subtilité). Même l’orchestre semble transcendé par
leur union délectable, virile et comme hallucinée, à l’articulation
dramatique, quasi théâtrale, parfaite. Puis les 2 scene e duetti, des actes
III et IV, vont plus loin encore dans la juste caractérisation émotionnelle,
creusant encore le profil de ses deux âmes, détruites, sacrifiées, broyées
par le destin, pourtant en quête d’un salut toujours incertain. Haineux et
fraternels puis définitivement rivaux jusqu’à la mort, les deux sont
engloutis par la détestation et le crime croisé qui les délivre. Implacable
et sublime horreur du fatalisme. Voilà une scène qui démontre que 2 héros
nobles pourtant car légitimes chacun dans leur combat, n’échappe pas à la
malédiction de la haine.
La fusion entre action et chant, déclamation
et geste se personnifie avec davantage de réalisme et de précision encore
dans le tableau d’Otello, – suprême confrontation / dialogue de l’acte II
entre Otello et son manipulateur Iago, menteur éhonté qui capte et ensorcèle
l’âme jalouse, trop naïve et perméable du Maure dont il distille le poison
du soupçon : la justesse et la ciselure des phrasés pour chacun des deux
solistes relèvent d’un idéal vocal dont ils sont les seuls aujourd’hui à
exprimer la vérité comme l’étonnante sincérité. Passion panique d’Otello
dévoré par l’ombre de la trahison ; récit mensonger et diffamation ciselée
de Iago dont le récit d’un Cassio qui rêve de sa « suave Desdémone » (« Era
la notte, Cassio dormia… ») finit par rendre fou le guerrier hier
magnifique, maître de son destin, à présent pantin détruit… maîtrise
impeccable des intonations vocales : Tézier fait un Iago plus fin et subtil
que démoniaque ; le diable tout en finesse, diffusant le délectable parfum
de sa vengeance. D’autant plus convaincant qu’ici, l’orchestre romain Santa
Cecilia est détaillé, suggestif sous la direction d’un Pappano enfin à
l’écoute et au diapason de cette perfection millimétrée où une déclamation
sinueuse, précise, nuancée inféode vocalità et intention dramatique.
|