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ResMusica, le 19 juillet 2016 |
par Pierre Degott |
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Fidelio en DVD, pour Adrianne Pieczonka et Jonas Kaufmann
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Trop conceptuelle, la mise en scène glaciale de Claus Guth risque peu de rallier les suffrages. Les joies procurées par ce DVD seront donc avant tout musicales, grâce notamment à deux écorchés vifs, la Leonore d’Adrianne Pieczonka et le Florestan de Jonas Kaufmann. |
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Située
dans un décor glacial constitué d’un espace nu délimité par les parois
blanches d’un intérieur bourgeois, la mise en scène de Claus Guth privilégie
le concept au détriment de la clarté et de l’intelligibilité de l’intrigue.
Partant de l’idée que l’histoire est connue de tous, il supprime le dialogue
de l’opéra pour le remplacer par un curieux bruitage fait d’éructations, de
grognements, chuchotements, soupirs, bruits métalliques, bourrasques de vent
et autres nuisances sonores sans doute sensées illustrer la psyché de ses
personnages. Leonore et Pizzaro sont tous deux flanqués d’un double ou d’une
ombre, dont on suppose qu’ils illustrent le débat intérieur qui anime les
deux personnages. Si cela peut difficilement s’expliquer pour Pizzaro,
personnage uniformément méchant, on le comprend mieux pour Leonore, figure
ambiguë perpétuellement en proie à toutes sortes de conflits intérieurs. Le
double de Leonore s’adonne inlassablement au langage des signes – images
dont la répétition finit par devenir autant assommante que ridicule –, sans
doute pour signaler l’incommunicabilité qui caractérise les rapports entre
les êtres. Le décor lui-même, avec ses murs blancs et son parquet de bois,
pourrait évoquer le salon de l’inconscient si cher à Freud et suggérer la
prison psychologique qui n’est finalement que le fruit métaphorique de nos
propres névroses. Même libéré, Florestan reste ainsi indécrottablement muré
dans ses doutes, ses angoisses et sa solitude. On n’en louera pas moins la
beauté intrinsèque de certains tableaux, rehaussée par un savant jeu
d’éclairages qui met en lumière les relations entre les personnages. Le
tout, on l’a dit, manque singulièrement de transparence et de lisibilité, et
la plaquette qui accompagne le DVD est, assez curieusement, peu diserte en
explications…
Sur le plan musical on ne saurait bouder ce produit
remarquable pour son homogénéité et pour la qualité de la performance
vocale. Les personnages, dans l’ensemble, jouent et chantent juste et vrai,
preuve qu’un réel travail sur la dramaturgie a été effectué. On saluera donc
les belles prestations de Hans-Peter König en Rocco, Tomasz Konieczny en
Pizzaro, Norbert Ernst en Jaquino et Sebastian Holecek en Fernando. De la
Marzelline de l’Ukrainienne d’Olga Bezsmertna, on pourra trouver qu’elle est
presque trop mûre vocalement pour ce rôle de soubrette, au point d’évoquer
presque le soprano dramatique de Leonore. Adrianne Pieczonka, en tout cas,
se sort avec honneur de la tessiture impossible de son rôle, dardant des
aigus rayonnants tout en maintenant la ligne dans le bas de la voix. Jonas
Kaufmann, évidemment, est un Florestan d’anthologie – on le trouvait déjà
dans un DVD de 2004, filmé à Zürich avec Harnoncourt – et son « Gott! » du
début du deuxième acte, commencé comme un murmure et débouchant sur un flux
sonore tonitruant, donnera la chair de poule aux âmes les plus insensibles.
Dans la fosse, les Wiener Philharmoniker, menés par la baguette probe et
énergique de Franz Welser-Möst, parachèvent la réussite d’un spectacle riche
en émotions musicales, mais décidément bien ennuyeux sur le plan visuel.
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