Jonas
Kaufmann publie son disque 2016 intitulé "Dolce Vita",
mélancolique et puissante machine à tubes.
Quelle ironie
du sort que d'écouter le dernier album de Jonas Kaufmann, qui
célèbre la Dolce Vita ! après toutes les turpitudes vécues par
la star, réduite au silence mais qui s'apprête à faire son grand
retour (nous vous avons relaté l'inquiétude autour de son état
vocal ainsi que les soutiens qu'il reçoit par milliers). Cette
ironie du sort devient déchirante mais avec une belle lueur
d'espoir si l'on se replonge dans les déclarations de Kaufmann
alors qu'il travaillait à cet opus :
« La musique ne sert
pas qu'à faire sourire, elle fait réfléchir et comprendre les
problèmes qui nous accompagnent tous. En exprimant cela dans une
chanson, vous pouvez vivre avec, parce qu'il existe quelqu'un
qui a mis la juste émotion et les bonnes paroles pour exprimer
ce que vous ressentez. [...] Nous sommes davantage fascinés par
ce qui va mal, plutôt que par ce qui va bien. Il n'y a donc pas
beaucoup de chansons heureuses et réjouies à l'opéra. Mais dans
ce disque, il y a les deux et même dans les moments les plus
sombres, les Italiens trouvent un moyen d'ajouter un peu de
sucre et de continuer à vivre heureux. »
C'est donc dans
une ambiance très particulière que nous nous sommes plongés dans
sa Dolce Vita.
Jonas Kaufmann est un habitué des
enregistrements. Dès 1996, il a multiplié les captations
d'opéras et de concerts en disque puis en DVD/Blu Ray. Il
investit également le marché très porteur auprès du grand public
des albums thématiques : Arias Romantiques en 2007, Nostalgie
germanique en 2009, Arias Véristes en 2010 (qui résonne avec le
dernier disque d'Anna Netrebko intitulé Verismo), un album
Wagner et un Verdi en 2013, un autre compilant des airs de
Puccini l'an dernier, après une incursion dans le monde des
crooners l'année précédente avec You mean the world to me.
C'est le propre d'un album enregistré en studio et
retravaillé longuement par l'informatique que de permettre des
choses impossibles en live. Le disque autorise ainsi un "zoom"
sur chaque détail et rend audible des pianissimi ou bien des
articulations que même les meilleures places à l'opéra ne
peuvent offrir. Cela étant, la prise de son effectuée par Sony
classical impressionne tant elle est un oxymore : enregistré à
la fois très près d'un chanteur précis (un modèle d'articulation
expressive) et très loin d'un vaste son d'orchestre réverbéré
(l'Orchestre du Teatro Massimo de Palerme dirigé par Asher
Fisch). Les ingénieurs du son ont fait un travail littéralement
incroyable : impossible en conditions réelles mais somptueux.
Dolce Vita est un recueil des plus grands tubes POPéra, le
ton est donné dès le premier morceau : le légendaire Caruso,
immense succès folk-opéra italien en hommage au légendaire ténor
Enrico Caruso (1873-1921), composé en 1986 et qui a fait la
fortune des aigus de Pavarotti. Puis, le ténor superstar
interprète Mattinata, chanson composée en 1905 par Leoncavallo
(connu pour son opéra Paillasse), justement en hommage à Caruso
et qui fut la première commande de la Gramophone Company : en
somme, le premier tube d'opéra fait pour le disque (puis pour
les stades que remplissait Pavarotti). Dolce Vita est ainsi un
hommage aux plus grands ténors de l'histoire, notamment à ceux
qui ont popularisé le chant lyrique auprès d'un public
universel. Vient le confirmer la chanson Un amore così grande
(1976), composée par Guido Maria Ferilli et immortalisée par
Mario Del Monaco, Claudio Villa, Luciano Pavarotti, ou encore
Andrea Bocelli.
Les hits s'enchaînent ensuite, notamment
Parla più piano, le thème d'amour tiré du film Le Parrain (1972)
auquel Larry Kusik a ajouté des paroles italiennes. Notons
d'ailleurs que Roberto Alagna enregistra cette chanson dans le
même registre que Kaufmann, il y a quelques années (vous pouvez
redécouvrir notre chronique de son dernier album Malèna, à cette
adresse) et l'on dénombre également des versions en Sicilien,
Espagnol ou Français (notamment chantée par Dalida). Autre grand
classique inoubliable, Catari', Catari' (Core 'ngrato) que
Kaufmann est habitué à chanter en concert. Tous ces petits
bijoux d'un art opératique populaire permettent au chanteur de
faire croître l'infinie douceur nostalgique de son timbre froncé
jusqu'à des exhalations surpuissantes (le tout parfaitement
accompagné par un orchestre tour à tour de douceur sanglotante,
puis feu d'artifice). Point d'orgue de ce voyage en terre bien
connue : Con te partirò immortalisée par Andrea Bocelli au
Festival de chansons italiennes Sanremo en 1995 et l'une des
chanson les plus vendues de l'histoire en France. La dernière
chanson de l'album est quant à elle une surprise, mais dans le
même registre : il s'agit d'Il Libro dell' Amore, version
italienne de The Book Of Love, chanson indie pop américaine du
groupe Magnetic Fields reprise par Peter Gabriel.
Sachant
varier le propos, Jonas Kaufmann intercale des airs typiquement
italiens avec leur ton sautillé (toujours articulé avec
virtuosité et chanté sur un puissant ancrage), ou bien des
ritournelles nostalgiques où le timbre mat du ténor, qui a tant
fait parler, devient sépulcral. Le disque ne construit pas un
propos sur le long terme mais enchaîne les tubes poignants. Vous
pouvez activer la fonction aléatoire de votre lecteur : chaque
piste de l'album doit pouvoir être ainsi écoutée et vendue à
l'unité sur les plateformes de streaming (qui représentent
désormais le mode majoritaire de consommation musicale). Le
chant et l'orchestre sont totalement dans cet esprit et tout est
immédiatement expressif. Kaufmann anticipe systématiquement ses
montées tonitruantes dans l'aigu et met un voile mélancolique
dès le début de ses ballades, tandis que l'orchestre fait
éclater les coups assourdissants de cymbales juste après des
portamenti (glissements entre deux notes) d'archets mielleux.
Dolce Vita ne fait pas dans la demi-mesure : il n'est que
chantilly ou bien grain de café 100% Arabica (vous pouvez
découvrir ci-dessous son making of dans lequel Jonas Kaufmann
est en quête du meilleur expresso au monde). L'orchestre et le
musicien enchaînent sans transition pianissimo et fortissimo,
chaleur retenue et éclat surpuissant, mezza vocce (à mi-voix) et
grandes voiles déployées.
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