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Diapason, 10/2016 |
Stéphane Grant |
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Dolce Vita
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A
l'italienne : les poils de la barbe noircis, le sourcil
maquillé, le regard surligné d'un trait de mascara. Le plus
grand ténor du moment livre un disque à l'image exacte de sa
pochette : trop de fard l'emporte sur le naturel. Les
indiscutables beautés sonores ne suffisent pas à un répertoire
qui exige d'autres vertus — osera-t-on dire un laisser-aller,
une lumière et une intimité, qu'on aura cherchés en vain.
Entendez bien : on ne serait pas très loin de rendre les
armes devant un « Core'ngrato » balancé avec cette insolence
fauve et rugueuse ! On serait tout prêt à succomber aux titres
choisis chez Ernesto De Curtis (Ti voglio tanto bene, Non ti
scordar di me, Torna a surriento) et Leoncavallo (Mattinata,
Un'amore cosi grande), s'il n'y manquait ce qu'un Jonas Kaufmann
tellement bien elevé, et soucieux de faire un sort à chaque
note, et chaque mot, oublie : le caractère éminemment populaire
de la plupart de ces ritournelles, qu'elles soient faites pour
les rues de Naples (Passione, de Libero Bovio), pour les salons,
ou même pour quelques délicieuses comédies filmées des annees
1930. Allez écouter ainsi l'allegresse solaire d'un Ferrucio
Tagliavini dans Voglio vivere cosi ; et le mordant irrésistible
de Giuseppe Di Stefano dans Musica proibita, cette mélodie
sentimentale qui a suffi à faire la postérité de Gastaldon du
nord au sud de la péninsule. Mieux encore, remettez-vous dans
l'oreille la Rondine al nido de Crescenzo par Benjamino Gigli :
tendresse caressante, suave leçon de style (qui n'est jamais
sophistication).
Le reste du programme emprunte à des
standards contemporains comme le Caruso de Lucio Dalla et le
très dispensable II canto de Romano Musumarra (dans les deux
cas, plane l'ombre de Pavarotti) La chanson du Parrain (Parla
più piano) n'a jamais eu plus de charme que dans la voix de
Gianni Morandi, autrefois, avec cette écorchure, ce timbre
éraille... Les arrangements sirupeux dispensés par Asher Fisch
n'aident guère. Est-ce à dire qu'il était un peu aventureux pour
notre grand Jonas de s'aventurer dans la chasse gardée d'un
répertoire, sous le soleil duquel il faut peutêtre avoir grandi,
vécu, vibré, pour s'y abandonner, et émouvoir ?
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