Classica, mai 2014
Jérémie Rousseau
 
Jonas Kaufmann - Garder la passion
Elle le dévore des veux. N'en croit pas ses oreilles à mesure qu'il déroule pour elle le plus suave des « Je t'ai donné mon coeur » (« Dein ist mein ganzes Herz »). Puis, quand l'air terminé, il s'agenouille dévotement en lui tendant une rose, pieux hommage à cette sommité wagnérienne dont il a dû jadis écouter quelques disques, Eva Marton semble fondre. Les ovations redoublent. Ah ! si j'étais plus jeune, si nous nous étions connus plus tôt, semble dire son regard, quel duo nous aurions fait! Alors l'imposante diva le serre dans ses bras, émue aux larmes par le cadeau que sa ville natale vient de lui offrir : Jonas Kaufmann pour ses soixante-dix ans. Ce que dit cette scène, vécue en juin 2013 à l'Opéra de Budapest? Que, peut-être, les premiers fans du ténor se comptent chez ses pairs. Amusant d'ailleurs : au même moment à Paris, au micro d'Anne-Charlotte Rémond sur France Musique, Renata Scotto s'empourpre : « Jonas Kaufmann est mon ténor préféré. Et pourtant j'en ai connu quelques-uns! Outre la qualité de la voix, superbe et égale sur toute la tessiture, il possède un legato que tous les ténors devraient avoir. Les couleurs, l'intonation, la diction sont parfaites. Et sa façon de chanter l'italien unique. Peu de ténors en sont capables. Alfredo Kraus était pour moi le meilleur Werther, mais depuis que je l'ai vu, lui, j'ai vu l'idéal. J'aurais aimé qu'il soit là quand je pouvais choisir mes ténors... Mais... il a l'âge de mon fils! » En octobre 2006 déjà, bien des années avant la déferlante Kaufmann, la légendaire Marylin Home lui glissait ce petit mot en coulisses après l'avoir entendu : « Cher Jonas, vous êtes un merveilleux chanteur, mille mercis pour votre art extraordinaire. »

Cela, ils sont des milliers à le penser... et à le faire savoir. Car depuis 2006 (mais depuis aussi son dernier entretien pour Classica en octobre 2011), la notoriété et le fan club du ténor allemand ont explosé auprès d'un public dépassant de très loin le cercle des initiés : avec Cecilia Bartoli, Anna Netrebko, Placido Domingo, il est désormais de ceux qui remplissent une salle sur son seul nom, et quel que soit l'ouvrage. On se souvient de la fébrilité de l'Opéra Bastille en 2010, avant son premier Werther, et du manque d'intérêt manifeste d'une poignée de groupies pour le drame de Massenet, quand leur vedette fit leur entrée sur scène : oui, après une méchante grippe et une présence incertaine, Jonas était bien là, il n'avait pas annulé ! On en gloussait de plaisir ! Quoi qu'il eût chanté, l'affaire était dans le sac. On en connaît, des admirateurs et admiratrices prêts à entamer le voyage à l'autre bout de l'Europe pour lui et rien que pour lui — pour un Lohengrin, un Faust, un gala en paillettes, peu importe. « Vous voulez dire qu'on vient assister au Kaufmann show? » demande l'intéressé, qui n'est pourtant pas dupe... « Si je suis connu à ce point, ça peut aider à faire aimer l'opéra; à moi de saisir l'opportunité pour transmettre le virus au public. » L'effet Trois Ténors, le syndrome Andrea Bocelli, il y croirait? « Bocelli a du succès, et il nous aide à amener vers l'opéra ou la musique classique des gens qui n'y auraient jamais mis les pieds. Ça ne veut pas dire que moi, j'aime ça, mais il nous aide, c'est un fait. Aujourd'hui, quoi que je chante, les fans sont là. C'est donc une grande responsabilité. Car si vous ne représentez pas ce qu'est vraiment l'opéra, ce qu'il a de plus beau et d'exaltant, les spectateurs ne reviendront pas. »

«Le succès peut vous perdre»

Ce 24 février 2014 au Metropolitan Opera de New York, aucun doute, les fans de Jonas Kaufmann sont bien là — lest 3 800 places sont même insuffisantes pour ce Werther, dont la mise en scène a été confiée à Richard Eyre ; un spectacle plutôt compassé, peu stimulant pour les chanteurs (et copié sans vergogne sur le Werther mis en scène par Benoit Jacquot), auquel notre héros finit par trouver des qualités — il est si diplomate. Sitôt entré en scène, et alors qu'il n'a pas ouvert la bouche, des applaudissements s'élèvent — réaction semblable au Parsifal l'an passé. Ce succès, Kaufmann affirme s'y être habitué. « Le succès, on le croit impossible quand on est étudiant, mais on continue à en rêver inconsciemment. Quand il arrive une fois, vous vous dites que ça ne peut pas être vrai. Et puis si, ça continue. Une deuxième fois, une troisième... Et ça ne semble plus s'arrêter. Mais attention, il ne faut pas s'y habituer. Au moment où vous pensez "succès" et où vous vous dites qu'il coulera de source quoi que vous fassiez, vous êtes dans le faux car vous ne tra- vaillez plus que pour ça. Vous n'êtes plus passionné, vous n'avez plus peur, et vous vous perdez. » À la sortie des artistes du Met, ce 24 février, dans l'air glacial de Manhattan, une vingtaine de dames sont venues réclamer l'autographe et la photo. Il leur faudra de la patience, car certains ont réussi à passer le cordon de sécurité, et c'est en coulisses, devant la loge du ténor rock star, souriant à chacun, que la longue file commence. Le succès excite mais effraie aussi. « Certaines personnes m'ont proposé des choses très folles, façon pop star, nous confie-t-il la veille de ce Werther, pas jusqu'à vouloir un enfant avec moi, mais pas loin. J'admire leur passion, mais parfois elles mélangent l'artiste en scène et la personne que je suis en réalité. Comme si, lorsqu'on achetait un billet pour m'entendre, on avait le droit en plus d'acheter quelque chose de moi, et qu'on pouvait me dire ce qu'on voulait. Il y a deux semaines, lors de mon récital à Carnegie Hall, quelqu'un est venu m'offrir des fleurs. Très gentil. Mais lorsque cette personne veut entamer une conversation devant 2 800 personnes qui vous regardent, quelque chose ne va pas. Parfois ça fait peur. On ne voit plus en vous qu'une attraction de zoo.

Une gourmandise en chemin

Ses qualités musicales n'expliquent peut-être pas tout. Kaufmann possède de vrais dons d'acteur; il est juste en scène mais aussi très séduisant, avec un physique de latin lover— lui, le Munichois pure souche — qui le prédispose au cinéma. Son côté « play-boy de l'opéra », il n'en peut plus. « Au début de ma carrière, avouait-il l'an passé au magazine Elle, c'était déprimant: moi qui travaillais comme un fou, moi qui n'ai jamais franchi les portes d'un club de sport, je n'entendais parler que de mon physique. Mais depuis un an ou deux, je crois
que ma voix intéresse davantage que ma silhouette. » Renée Fleming s'est moquée de lui un jour, arguant qu'avec son physique, on allait tôt ou tard le pousser vers la variété. Ce à quoi, souriant, il a répondu que ses trois enfants accrochaient moins à Wagner qu'à des chanteuses comme Adele et Beyoncé, et qu'il ne s'interdirait rien... On attend de voir. Car le cross-over ne semble pas sa tasse de thé. En 2012, quand il a chanté l'hymne de la Ligue de l'UEFA sur la pelouse du stade de football de Munich devant des millions de téléspectateurs, main dans la main avec le violoniste star David Garrett, c'était une gourmandise en chemin, rien d'autre : il s'est bien amusé, et ça se voit.

Ne pas faire de l'argent facile

Hier, Tosca, Traviata, Fidelio l'ont hissé au pinacle, mais sans relâche il affine son répertoire, le remet sur le métier. Pas question de ressasser en permanence les mêmes personnages. « Vous n'imaginez pas combien il serait facile de reprendre à l'identique la même poignée de rôles et de les tourner d'un théâtre à l'autre. Mais je ne peux pas! Quand j'ai du succès dans un spectacle, tout le monde veut revoir la chose absolument à l'identique — même rôle, même mise en scène, Mêmes partenaires... » Il cite la production d'Adrienne Lecouvreur de David McVicar, née à Londres en 2010 aux côtés d'Angela Gheorghiu. « C'était une mise en scène merveilleuse. Mais l'idée de la reprendre dans les cinq théâtres coproducteurs ne m'attire pas du tout! Je ne dis pas que je ne chanterai plus ce rôle, mais certainement pas dans cette logique. Idem pour La Force du destin récemment à Munich : ça a été une expérience exceptionnelle, grâce avant tout à Anja Harteros et Ludovic Tézier. Comment retrouver une distribution aussi parfaite? Aucun baryton à l'heure actuelle ne possède une ligne vocale comparable à celle de Ludovic! Et pourtant, il me tarde de reprendre Alvaro... même s'il est redoutable vocalement. » La facilité, pour un chanteur d'opéra, serait donc de ressasser toujours les mêmes parties? « Vous connaissez un rôle sur le bout des doigts? Vous pouvez dégager trois semaines dans votre agenda? Vous avez la certitude de répétitions tranquilles? Alors vous signez. Et puis, tant qu'à faire, vous enchaînez sur une tournée de concerts d'airs d'opéras. Voilà ce que j'appelle céder à la tentation. Faire de l'argent facile. »

Bien sûr, c'est un privilège de star de pouvoir dire oui ou non et de choisir. Ses théâtres. Ses opéras. Ses projets. Organiser son temps à sa façon et n'en rendre compte à personne. « Avant, j'étais ravi de remplir mon agenda et de signer des engagements plusieurs saisons à l'avance. Dire oui à tant de choses! Il s'est avéré que ça pouvait être une grosse erreur. Le Met, Covent Garden, Barcelone aiment vous retenir cinq, six ans à l'avance. Mais le moment venu, les projets d'hier ne sont plus aussi appropriés qu'ils l'étaient à la signature. Vous avez suivi un autre chemin, vous aimeriez faire autre chose, mais vous ne le pouvez plus. Désormais, mon calendrier compte donc beaucoup de trous. Y compris la prochaine saison. Je veux rester ouvert, disponible pour des projets qui s'imposent. » En 2012, il se serait bien passé de ce rendez-vous phare de l'année Verdi, qu'il honora le couteau sous la gorge sans en sentir l'envie. Aujourd'hui, fini tout ça. Caprice? Peut-être. Pour lui faire signer un contrat, mieux vaut en tout cas savoir le convaincre. « Lorsqu'on prépare un plat succulent avec les ingrédients les plus raffinés, on ne refuse pas. Si, à mes yeux, tout est idéal, oeuvre, metteur en scène, chef collègues, je ne me fais pas prier », sourit-il. On a critiqué et déploré l'absence de Jonas Kaufmann ces dernières années à l'Opéra de Paris, alors que son directeur Nicolas Joel nous l'avait quasiment promis à demeure, depuis son Werther de légende en 2010 — des rumeurs de Carmen, Francesca da Rimini, Lohengrin, de Saint Matthieu même avaient circulé. Et puis rien. Strictement rien. Joel a échoué a appâter l'oiseau rare, qui cette fois confirme « trois projets d'envergure » à Bastille les prochaines saisons, dont il laisse le privilège de l'annonce à Stéphane Lissner.

«Intense, écorché vif»

Sa seule crainte : s'ennuyer. « Garder la joie, la spontanéité, l'enthousiasme est la chose la plus importante. » Seul remède à cela : apprendre de nouveaux rôles, toujours plus, ne rien craindre de trop tendu ou de trop vaillant. La voix n'a cessé de se fortifier ces années. Si les teintes barytonnantes et les ombres voilées du timbre ont encore épaissi son mystère, les aigus lumineux rayonnent toujours magnifiquement. Le peintre musicien joue à merveille de ces couleurs caressantes et de ces phrasés élégants. Après l'avoir entendu à Munich à l'été puis à l'hiver 2013 dans Le Trouvère et La Force du destin, André Tubeuf rapporte : « Jonas Kaufmann met des prouesses d'art (et d'artifice), tout son style et son charme, à un rôle qui ne lui est pas entièrement naturel : faute d'avoir entendu en Manrico Franco Corelli ou Carlo Bergonzi, on peut voir en lui le ténor Verdi du XXIe siècle. » Dans La Force du destin, il trouve « audiblement l'air d'Alvaro bien tendu, demandant plus de métal et de couleur qu'il n'en a à donner, mais le personnage est parfait, intense, écorché vif ».

Avec Des Grieux dans Manon Lescaut de Puccini, ce mois de juin, Jonas le boulimique se sera approprié quatre nouveaux rôles en moins d'un an, quatre parties épuisantes du répertoire de ténor, si l'on pense encore à Dick Johnson (La Fille du Far West de Puccini) à Vienne en octobre dernier. C'est qu' il apprend vite aussi, confessant que le silence et l'isolement sont moins efficaces pour sa concentration que le brouhaha familial qui l'entoure. Ses projets? Il confirmé Andrea Chénier (Londres en janvier 2015), Radamès (Aïda) et Otello de Verdi (à Munich sûrement), sans oublier Canio et Turiddu, les héros de Paillasse et de Cavalleria Rusticana, que quelques (rares) ténors en béton armé enchainent dans la même soirée. Si l'Évangéliste des Passions de Bach reste un rêve, il n'y renonce pas : mais n'allez pas l'imaginer s'y lancer avec un baroqueux, ses Bach à lui sont ceux de Karl Richter, il le revendique ! Oui, Kaufmann veut tout chanter pendant qu'il peut, pendant qu'il est temps, pendant qu'il est en pleine possession de ses moyens. Continuer à jongler avec l'allemand, le français, l'italien. En ligne de mire : Tristan, mais pas avant d'avoir épuisé « tout ce qu'il y a avant ».

Depuis 2011, c'est de sa Munich natale qu'il gère ses arrières. Après plusieurs années en troupe à Zurich, il est revenu s'installer dans la ville de ses études, où il élève aujourd'hui ses trois enfants (le couple qu'il formait avec la mezzo-soprano Margarete Joswig vient d'annoncer sa séparation). Son clan le suit parfois quand il s'installe de longues semaines à l'étranger, quitte à scolariser provisoirement les enfants. Quel plaisir alors d'aller se balader, de sortir ensemble ou de se retrouver dans ce semblant de foyer! Ce n'est pas toujours possible. Alors, quand tout le monde se réunit à Munich, Jonas peut à son tour éveiller ses enfants à ses propres passions de jeunesse, lui qui, petit, se rêvait archéologue. Il a grandi dans un milieu de solides valeurs où théâtre et littérature comptaient au moins autant que la musique : des valeurs qui apportent à son discours cette sagesse, cette hauteur de vue, et une gentillesse naturelle, cette qualité de l'intelligence pour Voltaire, qui est tout sauf feinte.

«Tout ce qu'il y a avant»

C'est bien sur ce terreau-là que ses activités futures pourraient prendre corps un jour. La mise en scène, par exemple. Nombre de confrères le poussent dans cette direction. Et il sait qu'il y viendra. Et pas seulement pour contrer l'amateurisme qu'il dit sévir dans la profession ! « Un opéra est par nature une interprétation d'un texte dramatique. Pas la peine de rajouter encore une histoire par-dessus. Les metteurs en scène sont payés pour créer quelque chose. Énorme malentendu ! Ils n'ont pas à imaginer une autre histoire mais à être créatifs dans la narration et le fil du discours, à trouver la liberté, le cadre, les rapports les plus justes entre les personnages. Bref mille détails autrement plus difficiles à inventer que de plaquer une trame totalement dingue sur un opéra, fruit de l'incapacité des régisseurs à mener le travail approprié. Et puis... beaucoup d'entre eux veulent répéter encore et encore plus avec nous, de façon à ce qu'on reproduise toujours et automatiquement la même chose. Bref pour que le résultat s'appàrente à une coquille vide. Sans émotion. Artificiel. Inhumain... Que les metteurs en scène fassent donc confiance aux chanteurs et acceptent nos suggestions! Figurez-vous qu'il nous arrive de réfléchir à Ce que nous chantons! »

La mise en scène viendra, mais en temps voulu. Sans être pensée comme une béquille. «Ah, il fait de la mise en scène? C'est qu'il doit probablement avoir un problème avec sa voix. » Et puis il abordera le théâtre parlé... le cinéma (saviez-vous qu'il tient un petit rôle dans un film à sortir cet été ?), mais il ne serait pas raisonnable de lancer des titres tout de suite. Trop tôt. À l'écouter, le théâtre semblerait le stimuler davantage que l'opéra. Il se souvient d'avoir été transporté, à vingt-six ans, par la déclamation d'un texte de Peter Weiss accompagnant Moïse et Aaron de Schoenberg. «Le professeur me disait que j'étais la bonne personne pour lire ce texte, j'ai ressenti quelque chose de profondément fort. Maintenant, c'est juste le temps qui manque... » Tout le fan-club le suivra-t-il? On souhaite d'ici là, pour lui et pour nous, qu'il y ait encore beaucoup de Lohengrin et d'Alvaro, de Tristan et d'Otello... et « tout ce qu'il y a avant ».
Jérémie Rousseau

OÙ VA JONAS?
par André Tubeuf
paris ne l'a remarqué qu'en 2004, Cassio seulement. Mais on suivait Jonas Kaufmann de l'oeil (il est beau, naturel en scène, acteur né) et de l'oreille (le timbre, le charme, la diction si pure) depuis 2002, Wilhelm Meister au Capitole chez Nicolas Joel; à Strasbourg, La Belle Meunière dès 2003, Le Voyage d'hiver plus tard affirmaient un parti pris de servir le récit, d'obliger l'auditeur à suivre, s'obligeant en réciproque, lui qui pourrait vivre de ses charmes vocaux, à n'en utiliser qu'une partie, allant jusqu'à risquer de chanter sur le fil, et qu'il se rompe! C'est dire qu'on n'a pas été épaté par le ppp progressivement enflé du «Gott!» de Fidelio dont Paris a fait aussitôt une fable. L'admirant comme on n'a cessé de le faire, on y repérait une manipulation dramaturgique, la mise en scène vocale d'un passage spectaculaire du piano au forte, l'abus systématique d'une nuance piano comme porteuse d'expression et d'effet, obligeant à détimbrer. Avec le succès mondial dû à son timbre, sa prestance, son art, son stupéfiant pouvoir d'identification au personnage (et, en récital, à ce que disent les mots), on a pu voir son choix de rôles aller en tous sens. Le Lohengrin abouti et contrôlé de Munich 2010 le montrait à son propre mieux en ligne, couleur, charme, endurance. De là au Siegmund du Met, sombre, qui tasse la voix, il peut y avoir un abîme. Ses dons, ses facilités, sa santé athlétique lui permettaient tout; et le succès (vite délirant) d'oublier ses propres limites. L'hommage de Classica (dès 2007) croyait voir pointer en lui un Évangéliste, Tristan un jour. Or ses rôles neufs n'ont plus été qu'italiens, son ardeur physique romantique l'y dispose plus que sa couleur de voix ou des acuti claironnants. Tout en montrant ses limites, ses Manrico et Alvaro 2013 de Munich s'imposent : des incarnations totales, uniques aujourd'hui. Et c'est la spirale : demain Des Grieux de Puccini, puis Otello et Chénier, plus tard «Cav/Pag», les moyens d'à la fois Lauri Volpi (le feu du timbre, l'aigu) et Pertile (le médium vibrant)! Mais ne nous affolons pas. Jonas est un dosage conflictuel mais harmonieux d'intelligence (rare chez les ténors) et d'instinct (d'un sens à suivre, de survie aussi). Le Voyage d'hiver au TCE le montre absolu d'autorité, de contrôle sur ses moyens (les intellectuels aussi, potentiellement dangereux). Il ne va qu'en sachant où il va, quelles plumes il peut y laisser, quelles leçons il peut y prendre, dont s'enrichira son prochain rôle — qui sera le plus beau.






 
 
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