DIAPASON juillet-août 2007
Propos recueillis par Pierre-Etienne Nageotte
L’esprit d’équipe
Depuis l’Oberon de Weber dirigé par Gardiner au disque et son Don José à Covent Garden l’hiver dernier, Jonas Kaufmann est devenu incontournable. Alors que débutent, à l’Opéra de Paris, les répétitions de La Traviata, voici quelques confidences d’un ténor d’aujourd’hui.

 

 

 

 

Photo: Y. Coupannec
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Vous avez chanté cette saison Tamino, Alfredo, le Duc de Mantoue, Florestan, Don José, Faust dans La Damnation, Walther von Stolzing et Don Carlo. Cette diversité est-elle un choix?

Jonas Kaufmann
Absolument. Je trouve sain de confronter ma voix aux spécificités de chaque répertoire. Cela oblige à remettre la technique en question, chercher de nouvelles couleurs, entretenir le bonheur de chanter. Je ne souhaite pas me laisser enfermer dans un répertoire précis ou un nombre limité de rôles. Même si j’admire sa longévité, comment Alfredo Kraus a-t-il pu fonder une partie de sa carrière en incarnant si peu de personnages ? Je le ferai peut-être plus tard, mais pour l’instant, face àtoutes ces partitions, je suis, tel un enfant dans un magasin de bonbons.
 
Vous sentez-vous ténor allemand?
J.K. Lorsque j’ai commencé à étudier le chant, mes professeurs ont voulu faire sonner ma voix de manière pointue, un peu comme celle de Peter Schreier. Mais, n’étant pas vraiment à l’aise, j’ai dû chercher mon propre chemin. Un des chanteurs qui m’ont le plus marqué, au disque, est Fritz Wunderlich. Grâce à lui, j’ai compris l’importance du legato, de l’épanchement d’une phrase, mais aussi du naturel qui est indispensable pour un artiste lyrique. J’adore la façon qu’il avait de chanter Granada...

Seriez-vous tenté par le cross-over?
J.K. Non, mon image du chant est trop sérieuse, et m’y adonner en public est impossible... Lorsque j’ai abordé Cassio dans l’Otello de Verdi à Chicago, Renée Fleming m’a dit:
«Tu dois faire attention. Avec ton physique, ils vont tous vouloir que tu fasses de la variété. Tu chantes trop bien pour ça!»
 
Il y a deux saisons, vous étiez au Met pour La Traviata revue par Zeffirelli. Aujourd’hui, c’est dans une mise en scène de Christoph Marthaler que vous revenez à l’Opéra de Paris... 
J.K. Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’agit de deux conceptions différentes. C’est la première fois que je travaille avec Marthaler mais, lorsque je chantais Fierrabras au Châtelet, je suis allé voir ses Noces de Figaro à Garnier. Les sifflets dans la salle m’ont laissé penser «Jonas, l’an prochain, c’est ton tour. » On verra, nous n’en sommes qu’au début des répétitions... Je n’ai rien contre les mises en scène qu’on appelle Regietheater en Allemagne: bénéficier parfois d’une vision renouvelée est profitable. Cependant, le livret doit demeurer la colonne vertébrale de l’action, et l’histoire ne pas être trahie. Je repense souvent à cet Enlèvement au sérail d’il y a quelques années à Salzbourg. Je chantais Belmonte mais, comme le metteur en scène avait supprimé le rôle du Pacha, je devais me charger de ses répliques. Je me demande ce qu’un spectateur découvrant l’oeuvre a bien pu comprendre. Pour La Traviata au Met, l’esthétique était plus traditionnelle, mais chanter avec Angela Gheorghiu était un bonheur. Entre nous deux, j’ai ressenti une véritable alchimie, et enregistrer avec elle Madama Butterfly pour Emi en juillet me réjouit.
 
Quelle importance revêt le choix de vos partenaires?
J.K. Fondamentale! Lorsqu’on me propose un rôle, je demande toujours qui dirigera, avec qui je chanterai. C’est pour cette raison que j’ai dû décliner les offres du Festival de Bayreuth. Entendons-nous, jouer au « divo » n’est pas mon but, mais savoir que je pourrai m’appuyer sur une équipe, échanger avec mes partenaires est important pour moi. C’est à la fois professionnel et affectif. Pour mon premier Don José à Londres, cet hiver, j’avais Anna Caterina Antonacci pour Carmen. Pendant les répétitions, elle me disait de ne pas hésiter à m’investir davantage, à la toucher, à la malmener toujours plus s’il le fallait. Tout simplement parce que l’action l’exigeait. Sa recherche d’une intensité qui soit crédible a été un véritable choc pour moi: une vraie rencontre artistique et humaine. Malheureusement, nos agendas respectifs ne nous permettent pas de retravailler ensemble pour le moment, mais nous ne désespérons pas de trouver une date. Il y aurait bien eu une possibilité à l’Opéra-Comique avec John Eliot Gardiner en 2009, mais cela tombait au même moment que mon premier Lohengrin à Munich. J’ai donc dû dire non.
 
Vous venez de signer un contrat chez Decca: quels sont vos projets avec ce label?
J.K. L’idée de départ était une sorte d’album d’airs italiens. Mais je ne me vois pas du tout faire « The Italian Tenor » avec le risque de me retrouver catalogué... Pour mon premier récital avec orchestre, j’ai envie d’un programme qui ressemble à ce que je chante sur scène. Mes choix concernant l’enregistrement qui aura lieu cet été ne sont pas encore établis, mais ça sera une sorte de carte de visite avec un répertoire allant de Mozart à Wagner. Autre rêve me pencher sur les mélodies de Liszt avec, entre autres, les Sonnets de Pétrarque dans leur version aiguë. J’espère convaincre Decca de les graver!
 
Et sur scène?
J.K. Fidelio à l’Opéra de Paris en 2009... Nous sommes en pourparlers pour l’avenir. Je vais aussi poursuivre dans Wagner — Lohengrin à Munich, Siegmund à New York —‘ dans le répertoire italien avec Tosca et Adrienne Lecouvreur. Par ailleurs, l’opéra français m’attire énormément: j’ai déjà signé pour Werther et Manon à Vienne et je rêve souvent d’Enée ou Hoffmann. Pelléas, également, me fascine. On le confie souvent à des barytons mais, après tout, je chante Parsifal qui est tout aussi grave pour un ténor. Dans Pelléas, il faut négocier le duo de l’acte IV, avec ces aigus qui doivent rayonner. Au vu de ces projets et n’ayant que trente-huit ans, je crois avoir encore le temps pour Otello ou Tristan. Ça sera pour plus tard...
 






 
 
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