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Opéra, Mai 2015 |
Éric Pousaz |
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Mascagni: Cavalleria rusticana, Leoncavallo: Pagliacci, Salzburg, März/April 2015
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Cavalleria rusticana/ Pagliacci
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La 48' édition du «Festival de Pâques» de Salzbourg a été l'occasion d'une
avalanche de débuts. Les chefs-d'oeuvre de Mascagni et Leoncavallo, que les
théâtres s'entêtent à marier en dépit de leurs criantes différences, se
trouvaient ainsi pour la première fois à l'affiche du Grosses Festspielhaus,
avec un chef, un metteur en scène-scénographe et un ténor vedette qui ne
s'étaient encore jamais frottés à ce diptyque.
Issu du monde du
cinéma et de l'image, le réalisateur allemand Philipp Stölzl a conçu un
décor gigantesque, lui permettant de raconter les deux histoires sur
plusieurs plans. Il dispose sur deux étages six éléments, à la fois plateaux
en modèle réduit et moniteurs de télévision, sur lesquels se jouent les
épisodes censés se dérouler en coulisse. Des rideaux viennent fermer chacun
de ces espaces en fonction des besoins, servant d'écrans improvisés pour la
projection des réactions des personnages absents de l'action principale,
selon un principe cher aux émissions de télé-réalité. Malgré son titre,
Cavalleria rusticana(Chevalerie campagnarde ou paysanne): se déroule dans un
décor urbain : le noir et blanc y domine, évoquant l'univers oppressant du
néoréalisme italien — parallèle renforcé par la projection en gros plan des
visages des chanteurs et des figurants, où l'on peut lire les émotions
suscitées par le drame. Pagliacci, en revanche, est riche de couleurs ; les
badauds venus assister à la représentation des cornédiens ambulants occupent
le niveau inférieur, l'étage supérieur étant réservé à la sphère privée.
Aussi spectaculaire soit-il, le procédé finit pourtant par lasser,
d'autant qu'il camoufle mal l'absence d'une véritable direction d'acteurs et
tout ce que le spectacle peut avoir de déjà-vu (Alfio en implacable parrain
mafieux...). Du coup, ce sont avant tout les prouesses techniques des
machinistes, pour ainsi dire amenés à changer les décors en fondu enchaîné,
qui enthousiasment le festivalier avide de sensations fortes.
L'écriture vocale de Cavalleria rusticana convient moins bien au timbre
sombre de Jonas Kaufmann que celle de Pagliacci. Mais l'interprète, comme
toujours, sait tirer le meilleur parti de ce handicap : il transforme, par
exemple, la «Sicilienne» ensoleillée du début en triste évocation d'un
bonheur fantasmé auprès de Lola, chantée dans la lugubre mansarde où Turiddu
s'est installé avec Santuzza et leur enfant, né hors mariage (l'une des
idées originales de la mise en scène). L'effet obtenu est aussi bouleversant
que déroutant.
En Canio, la tâche est plus facile pour Jonas Kaufmann
: la couleur barytonale du bas médium sert admirablement le personnage,
abordé avec une violence qui, pour être contenue, n'en est pas moins
dévastatrice. Tout juste regrette-t-on un certain manque de rayonnement dans
l'aigu, qui retire un peu de son impact à une performance d'exception.
En Santuzza, Liudmyla Monastyrska s'offre le luxe de pianissimi
inattendus, grâce à un décor renvoyant idéalement les voix vers la salle.
L'intensité de son « Voi ta sapete, o mamma», la montée en puissance de sa
colère et de sa frustration dans le duo avec Turiddu, la situent dans le
peloton de tête des grandes titulaires actuelles. Ambrogio Maestri présente
un profil vocal brutal et heurté, collant parfaitement à Alfio. Annalisa
Stroppa est une Lola au timbre clair, d'une sensualité ensorcelante,
Stefania Toczyska imposant sa forte présence en Mamma Lucia.
La
distribution de Pagliacci convainc moins. Le soprano soyeux de Maria Agresta
est désormais trop lourd pour Nedda ; les traits virtuoses de «Stridono
lassù» n'ont rien d'aérien et la voix paraît à l'étroit dans le duo avec
Silvio, confié à un Alessio Arduini au chant aussi prosaïque qu'avare de
séduction. Dimitri Platanias investit Tonio d'une certaine agressivité, mais
son incarnation reste à la surface de la duplicité malsaine du personnage.
Le ténor élégant de Tansel Akzeybek, en revanche, fait excellente impression
en Beppe, à l'instar de la brillante réunion des choeurs du Semperoper de
Dresde — théâtre coproducteur — et de ceux du Festival.
Dans
Cavalleria rusticana, ouvrage qu'il n'avait jamais abordé auparavant,
Christian Thielemann obtient de la Staatskapelle de Dresde un tapis sonore
aux couleurs luxuriantes. Mais sa direction à l'emporte-pièce tend à rendre
vulgaire cette musique, l'impressionnante ampleur symphonique de l'ensemble
gommant certaines subtilités du langage de Mascagni.
La complexité de
l'écriture instrumentale de Pagliacci, titre figurant à son répertoire
depuis ses années à Nuremberg, convient mieux au tempérament du chef
allemand. Pour autant, sa lecture peine à atteindre le niveau
d'incandescence attendu. Éric Pousaz |
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