Toute La Culture, 21 FÉVRIER 2021
PAR DENIS PEYRAT
 
Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
 
A l’Opéra Bastille, une Aïda sans la chaleur du public mais avec celle des voix
Devant l’impossibilité d’accueillir son public en salle, l’Opéra de Paris a capté Aïda, le 18 février en live, pour diffusion par Arte et streaming sur Arte concert. Toutelaculture était invité avec la presse à assister à la captation : la nouvelle production de Lotte de Beer ne convainc pas, et manque cruellement d’émotion, mais heureusement il y avait le plaisir d’entendre de très belles voix résonner à nouveau à Bastille !

Œuvre de commande créée au Caire pour célébrer l’inauguration du Canal de Suez, Aïda a été principalement inspirée par le travail d’Auguste Mariette, l’un des fondateurs de l’Égyptologie, qui avait souhaité y figurer au plus près l’ancienne Égypte telle qu’elle était connue à l’époque. Pour sa première mise en scène à l’Opéra de Paris, la néerlandaise Lotte de Beer a choisi de replacer l’œuvre à l’époque de sa création en 1871, dans une version politique qui dénonce le colonialisme, le pillage des œuvres d’art ainsi que la question raciale et la représentation de l’identité africaine.

La nuit au musée, ou l’art pour l’art
L’action se situe ainsi essentiellement dans un musée, dans lequel sont exposés des antiquités rapportées d’Afrique, parmi lesquelles une statue de femme, qui prend vie et dont Radamès tombe amoureux. Amnéris est ainsi une riche bourgeoise, jalouse de cette passion de son amant pour un figure de bois gris. Aida, son père Amonasro et l’ensemble des Éthiopiens sont représentés comme des pantins, et manipulés par des marionnettistes habillés de noir auxquels se joignent les chanteurs, privés du coup d’une grande partie de leurs capacités d’expression scénique.

Ce parti-pris amène ainsi à gommer toute référence à l’Égypte et rend certaines scènes, comme celle du triomphe de l’acte II, complètement déconnectées de l’intrigue. Privée de ballet, avec des choristes vêtus de noir et masqués réduits à de simples interprètes de part et d’autre de la scène, l’action se réduit alors à un enchainement de tableaux animés, réalisés par des figurants virtuoses. La représentation d’un certain nombre de chefs d’œuvres de la peinture ou de la photo contemporaine occidentale est visuellement remarquablement réalisée, mais complètement vaine.

Les scènes les plus réussies sont les plus intimistes, celles où la démonstration de mise en scène laisse la place aux chanteurs et à toute l’émotion de la formidable musique de Verdi. A l’acte III, l’affrontement entre Aïda et son père, dans lequel la virtuosité des marionnettistes arrive à rendre expressifs les pantins créés par Mervyn Millar, convainc. L’émotion arrive aussi (enfin) dans la scène finale de l’acte IV au cours de laquelle Sondra Radvanovsky s’avance seule pour rejoindre Radamès dans la « vallée de larmes », un souterrain que jonchent les pantins désarticulés. Elle s’éloignera avec les marionnettistes aux derniers instants, après avoir déposé sa marionnette dans les bras de son amoureux pour leur dernière extase, quand « les âmes errantes s’élèvent vers la lumière du jour éternel ».

Tout pour la musique
Si la mise en scène ne satisfait pas, en revanche le plateau des solistes est du plus haut niveau. Le roi de belle stature de Soloman Howard fait belle impression pour ses débuts à l’Opéra de Paris. Dmitry Belosselskiy est un Ramfis sonore aux graves profond même si la mise en scène le prive un peu de l’autorité habituelle dévolue au Grand Prêtre.

La mezzo ouzbèke Ksenia Dudnikova, remplaçant Elina Garanca qui aurait du faire ses débuts en Amnéris, dispose d’une voix ample aux graves poitrinés et d’un large souffle mais semble souvent passer ses aigus en force. Son autorité n’est pas en reste dans l’acte IV mais elle convainc moins dans les premières scènes.

Bien que réduit dans ses possibilités d’expression, Ludovic Tézier a toute l’autorité nécessaire au rôle d’Amonasro et déploie une voix parfaitement adaptée au chant verdien, comme il l’a prouvé dans son récent album, son duo « Rivedrai le foreste imbalsamate » est l’un des grands moments de la soirée.

Dans le très difficile rôle de Radamès, Jonas Kaufmann déploie toute une palette de demi-teintes vocales, loin des vaillances forcées dans lesquelles se cantonnent souvent la plupart des interprètes. On peut ne pas apprécier le timbre du ténor, mais son art vocal et sa maitrise du souffle sont incontestables, et se manifestent dès son « Celeste Aïda », couronné par une magnifique messa di voce finale, comme peu d’artistes le proposent à la scène. Il est particulièrement remarquable également dans la scène finale, rivalisant avec la soprano dans l’émotion et le contrôle des aigus pianissimi.

Enfin dans le rôle titre, Sondra Radvanovsky fait toute la démonstration de l’amplitude de ses moyens vocaux, dont le timbre vibrant contribue à l’expressivité. Son souffle lui permet les plus belles demi-teintes et son legato est remarquablement maitrisé notamment dans « O patria mia ». Une très grande interprète, qui prend tous les risques au niveau vocal et mérite de pouvoir exprimer plus largement son jeu que dans une mise en scène où elle se retrouve en second plan derrière une figure de bois.

L’orchestre de l’Opéra de Paris, en effectif apparemment réduit dans la fosse, livre une prestation dans laquelle les vents (et notamment les cuivres) ont la part belle par rapport aux cordes, et la baguette alerte de Michele Mariotti semble avoir du mal à ménager des équilibres au sein de la fosse et avec le plateau. Mais ces quelques réserves acoustiques perçues depuis la salle seront certainement levées pour les spectateur de la captation, à qui l’on souhaite de pouvoir très bientôt retrouver eux aussi l’émotion des voix depuis l’intérieur des théâtres d’opéra.












 
 
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