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Olyrix, 18/02/2021 |
Par Ôlyrix |
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Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
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Aida à Bastille à huis clos : une nuit au musée avec Kaufmann, Radvanovsky,
Tézier
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L'Opéra de Paris sauve sa nouvelle
production d'Aïda de Verdi pour une retransmission en direct depuis la
Bastille sans public. La mise en scène de Lotte de Beer est placée dans un
musée animé où les tableaux et sculptures prennent vie :
Le plateau
est une grande salle de musée où les interprètes semblent d'abord être des
visiteurs, bourgeois venus apprécier les œuvres des arts premiers et
occidentaux, de l'Antiquité à nos jours. Mais bien vite, ces interprètes sur
le plateau vont eux-mêmes reproduire et faire vivre ces œuvres d'art, avec
une opposition aussi claire que cette histoire : les personnages vainqueurs
de cet opéra (les Égyptiens Radamès et Amneris) forment les tableaux vivants
des Beaux-Arts occidentaux, face aux vaincus (les Éthiopiens Aida et
Amonasro) dés-incarnés par des sculptures-mannequins d'art brut. Une manière
éloquente de représenter les conflits entre les peuples (et entre les
périodes, questionnant les représentations d'aujourd'hui et d'hier) par le
biais des arts visuels. Une manière aussi de montrer le pouvoir de l'opéra
pour ranimer les êtres, les œuvres et les histoires d'antan.
Le point
culminant de ce musée vivant arrive bien entendu au moment des fameuses
trompettes d'Aïda où les figurants changent à vue et à toute vitesse de
costumes tout en installant des accessoires en carton-pâte devant des toiles
peintes déroulées : formant des tableaux vivants et connus, de l'Antiquité
grecque, romaine, égyptienne, revue par César et Napoléon en passant par La
Liberté guidant le peuple jusqu'aux soldats dressant le drapeau américain à
Iwo Jima (et bien d'autres). Un déroulé en forme de quizz sur l'histoire de
l'art, et d'un ballet de tableaux qui, confrontés à la marche des trompettes
d'Aïda, déclenche des sourires sous masques et même des rires parmi les
quelques spectateurs (professionnels et du protocole) assistant sinon
silencieusement à la représentation depuis la salle.
Jonas Kaufmann
(dans le rôle de Radamès) est habillé en soldat puis déguisé en César
Bonaparte montant littéralement sur un piédestal avec armure et casque à
brosse devant un faisceau de lances formant un trône de fer, puis couronné
par Amneris, elle-même en déesse Niké aux ailes et à la robes immaculées. Le
ténor dans cette tenue et cet apparat héroïques modère et mesure pourtant
ses élans vocaux (contrôlés soit dans leur vibrato soit dans leur longueur),
mais apportant ainsi à la mise en scène son contre-champ de subtilité, par
son chant et notamment ses fameux aigus à mezza voce. Leur tendresse mais
intensité à la fois veloutée et lumineuse vient parachever son corps vocal
concentré notamment dans de grands crescendi-decrescendi. Adressant son
chant énamouré au mannequin granitique représentant Aïda, Jonas Kaufmann
illustre ainsi littéralement l'expression "émouvoir les pierres", comme
Sondra Radvanovsky et Ludovic Tézier illustrent celle de faire vivre et
vibrer les pierres.
Aïda et son père Amonasro sont représentés par
des marionnettes et chantés par les grandes voix de Sondra Radvanovsky et
Ludovic Tézier. Les mannequins (conception et direction signées Mervyn
Millar) à l'apparence de pierres noires brutes et lacérées, animés par leurs
manipulateurs traduisent la soumission des personnages, leur rang d'esclaves
privés jusqu'à la liberté de leurs mouvements. Les deux solistes lyriques
deviennent l'ombre de l'ombre de leur pantin : tout en noir, derrière les
marionnettistes tout en noir derrière les marionnettes toutes noirs,
démantibulées, celle du Roi d'Éthiopie Amonasro étant même privée de ses
jambes et d'une main (illustration des sévices infligés aux esclaves et aux
vaincus). Ce procédé diminue d'autant les possibilités expressives des
interprètes et notamment pour Sondra Radvanovsky (pourtant dans le
rôle-titre) lorsqu'elle doit suivre les contorsions du mannequin qui se
traîne au sol (ce qu'elle ne fait pas). C'est en fait et au contraire
lorsque la chanteuse et la marionnette se comportent différemment que le
procédé se révèle le plus éloquent : Aida pouvant ainsi paraître meurtrie en
mannequin tandis que la chanteuse en montre la force debout (et la
marionnette peut flotter dans les airs quand la chanteuse plonge vers les
graves). Le visuel rejoint alors cette double possibilité expressive
simultanée qui est celle, sublime sur le plan musical à l'opéra, du dialogue
entre le chant et l'orchestre. D'autant que la chanteuse peut ainsi faire
une nouvelle démonstration de son expressivité vocale et de combien, à
l'opéra justement, la voix sublime toutes les contraintes corporelles et
physiques, les genres, les couleurs, les âges et apparences. Sondra
Radvanovsky déploie un chant vivant et vibrant, incarné dans toute la
tessiture, hormis quelques imprécisions et inconforts dans les notes les
plus aiguës avec les nuances les plus faibles, mais dont elle fait le point
de départ de grands et forts phrasés lyriques puis de tenues sûres. La voix
intense et délicate, irise les pierres. Son personnage s'étrangle de douleur
mais la voix nullement et jamais.
Ludovic Tézier en retrait derrière
les marionnettistes et sa demi-marionnette est d'abord tout aussi en retrait
vocalement et comme amputé d'une partie de son ambitus. Mais à l'image de
son personnage, il gagne en caractère, vocal en tout cas. Si le corps reste
doublement contraint par sa raideur et celle imposée par le dispositif
scénique, la voix gagne en volume et en couleurs, comme le Roi d'Éthiopie
regagne en honneur et dignité (mais le personnage et l'artiste paraissent
éprouvés).
Ksenia Dudnikova qui avait remporté les oreilles dans la
Carmen Corrida pour ses débuts à Bastille insuffle aussi à son Amneris ce
caractère vocal chaud et piquant, fondé sur des graves poitrinés, un ample
souffle et médium. Son Amneris, de fait égypto-andalouse, aussi suave que
jalouse, cajole et menace Radames autant que les tympans (d'autant qu'elle
accomplit tout cela dans une robe grand-bourgeoise caricaturale, rose bonbon
et "à tournure" aussi nommée "faux-cul").
Soloman Howard impose en
Roi d'Egypte un caractère franc et massif, la voix également, mais un peu
engorgée. Le Grand Prêtre Ramfis a la voix ample de Dmitry Belosselskiy, qui
résonne sur des appuis marqués et tendus vers leur projection, vrombissant
un peu court.
Le messager Alessandro Liberatore est un ténor
impliqué et appliqué, vocalement et dans son caractère, tendu et projeté :
il peut s'appuyer sur tout son ambitus et notamment un aigu couvert, mais
sans excès de largesse. Enfin la prêtresse Roberta Mantegna accomplit son
office avec précision et subtilité, d'une fine ligne nette et juste.
Les Chœurs participent pleinement au spectacle, formant les figurants des
tableaux dans un mariage de costumes XIXe et de masques sanitaires noirs
tristement contemporains (à l'unisson de la rencontre des époques dans toute
cette production). Leurs voix soutiennent pleinement les solistes et passent
avec volume et justesse même masquées. Les trompettes et timbales restent
justes et en place mais mesurées et modérées, à l'unisson d'une direction
très équilibrée du chef Michele Mariotti. Choristes et instrumentistes
respectent les distanciations autant que les équilibres sonores, laissant de
fait naturellement la partition de Verdi offrir ses infinies nuances et ses
élans.
Jonas Kaufmann, s'appuyant sur ses voyelles et ses graves
toujours aussi sombres, garde un sommet vocal lyrique pour sa déchéance
militaire, sa passion amoureuse et le drame final. L'artiste finit,
bouleversé et bouleversant, la voix résonant de toute sa tristesse lyrique
dans le musée et la Bastille vide : un éloquent Requiem pour la culture
vivante. D'autant que Sondra Radvanovsky l'a rejoint, enfin débarrassée de
sa marionnette, libérée par son amour sacrificiel (quoique le héros replonge
dans les bras d'un mannequin abandonné au sol, laissant Aida partir seule
dans l'obscurité).
Les amants finissent emmurés dans la pyramide qui
est en fait ici la réserve du département Antiquité égyptienne d'un musée,
lui-même dans la Bastille fermée au public : la mise en scène offre ainsi
une complète mise en abyme de l'œuvre et de la tragique situation pour la
culture de nos jours. Heureusement ces amants-là ont accès aux ondes
télévisées et le spectacle peut être vu et revu en intégralité.
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