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Forum Opera, 20 Juillet 2020 |
Par Christophe Rizoud
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Met in HD online: Polling, Opern-Recital, 18. Juli 2020
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Ténor ténébreux dans le monde d’après (streaming)
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A tout seigneur, tout honneur. Il
revient à Jonas Kaufmann d’inaugurer les Met Stars Live in Concert, une
série de récitals proposés en streaming un samedi sur deux au tarif de 20$
(17,5€ environ). La gratuité a ses limites ; il était temps de s’en
apercevoir. Un moyen pour le Metropolitan Opera de maintenir avec son public
un contact rompu de force par les impératifs sanitaires. La première
institution lyrique américaine a annoncé le mois dernier baisser le rideau
jusqu’au 31 décembre 2020.
De New York, Christine Goerke et Peter
Gelb lancent la retransmission tandis que sous les voûtes baroques de
l’abbaye de Polling en Bavière, Jonas Kaufmann, accompagné au piano par
Helmut Deutsch se prépare à attaquer une forme de marathon, ce que les
anglo-saxons appellent une performance : douze airs d’opéra français et
italiens, enquillés sans public avec pour seule respiration des séquences
vidéo commentées par Christine Goerke. Tous les deux ou trois numéros, des
interviews, des extraits de représentations de La fanciulla del West,
Werther, Die Walküre, Pagliacci donnent à la retransmission des allures de
reportage.
Drôle d’expérience, ne serait-ce que par l’absence de
communion entre les artistes et le spectateur, l’œil rivé sur l’écran,
assujetti au ballet des caméras. Est-ce la tonalité tragique des airs
interprétés, les circonstances ou la concentration nécessaire pour relever
un défi inhabituel mais l’heure semble grave. Aucun sourire, aucun regard,
aucun abandon complice ne vient éclairer un chant intérieur. L’absence de
nœud papillon est la seule incartade à un dress code sévère : costume noire,
veste blanche.
« You can catch more flies with honey », disent les
américains, autrement dit en français, on n’attrape pas les mouches avec le
vinaigre. A l’exception de « Ombra di Nube », une mélodie du compositeur et
prêtre italien Licinio Refice, le programme privilégie les plus grands tubes
du répertoire, avec la contrainte de sauter d’un personnage à l’autre, sans
transition, sans ce minimum de récupération qu’offre entre deux tours de
chant les applaudissements du public et le jeu des entrées et des sorties.
Telle est la règle du streaming à laquelle Jonas Kaufmann peine à se plier
dans un premier temps. Pas de faux pas dans la sélection des partitions, si
ce n’est Roméo désormais trop lyrique pour une voix dramatique mise en
danger par une cavatine supposée ensoleillée, mais de la réserve, voire de
la raideur. Ténor ténébreux, Jonas Kaufmann l’est aussi par la couleur
sombre d’un chant que l’on peut trouver inapproprié au répertoire italien.
Pourtant, tout n’est pas si exotique. Cavaradossi a une male fierté et
l’effet de soufflet apparaît bienvenu dans « e Lucevan le stelle » quand il
peut sembler ailleurs souvent artificiel, voire périlleux. Le détimbrage
comporte sa part de risque. On aime aussi Chénier, zébré d’éclairs et
d’éclats, enfin vécu, comme si dans la coulisse, pendant qu’Helmut Deutsch
palliait l’absence d’orchestre dans l’Intermezzo de Manon Lescaut, d’aucuns
avaient conseillé au ténor de s’animer davantage. Achevé dans un rugissement
sauvage, le lamento de Federico bénéficie aussi de cette nouvelle vigilance
expressive.
En dépit d’une prononciation exemplaire, les airs
français laissent un sentiment plus mitigé. L’exhortation au soleil par
Roméo, sur la corde raide, semble un appel wagnérien à conquérir le
Walhalla. Le Cid renie ses origines espagnoles pour revendiquer une
filiation germanique inattendue. Don José balance sa fleur d’un geste
emprunté qu’un si bémol courageux tente de racheter quand Vasco De Gama
avance conquérant, ravageur dans son « Pays merveilleux ». La puissance
contraste avec des notes allégées, augmentées et diminuées que le ténor
semble aller chercher non sans effort au fond de la gorge. Gros plan sur la
luette dans la tourmente du son : une des particularités de l’exercice.
Aucune place dans une salle, y compris dans les catégories optima récemment
inventées pour majorer les tarifs sans en avoir l’air, n’offre une telle
proximité avec les artistes. Voilà une autre des règles du streaming avec
laquelle il faut composer : approcher via la caméra de si près le chanteur
que l’écran devient miroir grossissant, au point que parfois, gêné de ne
plus respecter ce qu’on appelle la distanciation sociale, le regard se
détourne.
Pas d’entracte, comme l’impose « le monde d’après ». En
moins de 90 minutes, l’affaire est pliée. Jonas Kaufmann frappe du coude
Helmut Deutsch, partenaire fidèle qui une fois encore a su de manière
exemplaire offrir l’exact contrepoint instrumental au tour de piste vocal.
Nouvelle manière de saluer ; ça aussi, il va falloir s’y habituer. Prochain
rendez-vous des Met Stars Live in Concert : Renée Fleming le samedi 1er
août.
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