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Avant Scène OPÉRA |
par Pierre Flinois |
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Verdi: Otello, Bayerische Staatsoper, 12. Juli 2019
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Otello
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Créée en novembre dernier à la
Staatsoper, la nouvelle production de l’Otello de Verdi, signée Kirill
Petrenko et Amélie Niermeyer, domine de très haut le Festival de Munich.
La Staatsoper de Munich occupe un rang très élevé parmi les grandes
maisons d’opéra, et le fait que Kirill Petrenko en soit le
Generalmusikdirektor n’y est pas étranger, tant chaque spectacle dirigé par
le chef russe constitue en soi un événement majeur. Cet été, trois titres le
confirment une fois de plus : deux reprises – celle des Meistersinger
inaugurés voici trois ans déjà et, selon la tradition désormais locale,
repris en toute fin du festival, et celle d’Otello – accompagnent la
nouvelle production de Salomé, livrée fin juin. Trois spectacles où la
baguette de Petrenko triomphe chaque soir, créant pour l’auditeur la
sensation d’entendre une lecture aussi neuve qu’irradiante, et imposant un
niveau d’interprétation si confondant que les autres chefs appelés à diriger
l’orchestre de la Staatsoper font assez pâle figure.
Cet Otello
s’affirme ainsi comme l’un des plus fabuleux qu’on ait pu croiser sur scène.
Mais si la production est excellente, si les trois chanteurs principaux sont
remarquables, c’est d’abord de la fosse que vient l’éblouissement permanent
que dégage cette représentation. En décembre dernier, on avait été saisi par
le raffinement du détail, la volonté de transparence, d’allègement du tissu,
l’expression raffinée des couleurs et des nuances d’une partition d’une
richesse infinie, la mise en valeur aboutie des pupitres (solistes ou
ensembles) qui faisait la marque personnelle de cette direction jubilatoire,
à laquelle l’orchestre s’attachait à répondre de tout son sens musical,
comme à chaque fois que Petrenko le dirige. Cet été, au delà de ce jeu de la
matière sonore en perpétuelle réinvention, c’est à la puissance expressive
du résultat qu’on s’est laissé prendre, tant ce qui, dans Otello, relève du
paroxysme, y est non pas magnifié, mais intégré au mouvement dramatique par
une dynamique et une énergie communicatives qui font ressortir plus encore
ce travail du magma sonore, tout en lui donnant une portée dramatique
insensée – non par l’excès de son, mais par un équilibre courant de l’intime
au grandiose, sans oublier jamais que ce torrent qui sort tel une brûlure
incandescente de la fosse doit élever et non engloutir le chant. La fête
sonore est ainsi majeure, et pourrait suffire au rang inoubliable de la
soirée. Or ce n’est pas, loin de là, son seul marqueur d’exception.
Sur pareil support, imposer une mise en scène qui serait celle d’un théâtre
histrionique (à Salzbourg, on fut longtemps marqué par celui que Karajan
laissait exploser au moindre mouvement vocal d’un Vickers survolté) ne
serait pas logique. Amélie Niermeyer (qui est avant tout metteuse en scène
de théâtre mais s’est fait connaître par ses réalisations opératiques de
Düsseldorf à Salzbourg, du Festival de Schwetzingen au Theater an der Wien,
jusqu’à une Favorite clivante à Munich) a une conception tout en finesse et
en psychologie du drame shakespearien, refuse les grandiloquences de l’opéra
même si elle s’inscrit dans un procédé décoratif qui a ici la force de la
simplicité. Deux univers s’opposent par la couleur (le noir, le blanc) et
leur fausse symétrie, vaste chambre et vaste hall interchangeables où public
et privé jouent à cache-cache pour préférer l’intimité du couple à la
présence des masses. Exit (et fort heureusement) le naturalisme de la fête
au port, noyée dans l’ombre pour laisser voir les retrouvailles du couple et
l’évidence de leur problème. Car avec Niermeyer les personnages sont
fouillés jusqu’au moindre détail et caractérisés de façon bien plus poussée
que dans les usages de la scène lyrique courante. A l’apparition d’Otello,
on est frappé par sa discrétion ; immédiatement après, dans l’intimité de
l’appartement majestueux qui domine le quai et sa foule bientôt imbibée, par
le mal-être qui s’impose à lui : ce chef de guerre charismatique n’est pas
en état de trouver l’équilibre de son couple. Dès lors, on sait que la crise
de jalousie que narre Otello jusqu’au paroxysme n’est pas un hasard, mais
bien l’exutoire que son héros trouvera pour résoudre sa relation avec son
épouse. Ce cheminement qui l’amène pas à pas à la folie, Niermeyer nous le
détaille dans une direction d’acteurs intense où chacun des protagonistes
donne une leçon de théâtre contemporain.
C’est Iago qui triomphe à ce
jeu, vrai meneur de l’intrigue, nihiliste qui jamais n’exagère mais dont le
premier plan permanent est, avec un acteur aussi fin que Gerald Finley, un
festival de subtilité, de suggestion, où de très brefs instants d’éclats
sensibles révèlent le naturel méchant, jaloux, destructeur que le personnage
au charme séducteur cache avec une si diabolique aisance. Et que le
chanteur, magistral de nuances (les moins « opératiques » qui soient), peut
soudain marquer d’une force de conviction renversante, sur un mot, un
accent, une rupture de dynamique, quand le chef lui compose un tapis de
délicatesse comme support idéal de sa fausseté absolue. Magistrale rencontre
entre ces deux génies !
Jonas Kaufmann n’est guère en reste sur ce
plan, pratiquant depuis longtemps l’intériorisation d’un chant d’exception.
Sa confrontation fréquente à la baguette attentive de Petrenko forme une
entente absolue : son Otello – dont on a compris depuis Londres qu’il ne
sera jamais péremptoire (de fait, le IIIe acte le montre à l’extrême limite
de ses moyens) – est riche de toutes les nuances, où l’art vocal se fait
déchirure (ses monologues !) et le mène à une mise à nu de l’être le plus
malmené qui soit par sa propre folie. Un parcours qui n’est pas sans le
forcer à l’esquive – élégante toujours, réelle pourtant – et qui dit haut
qu’il sait jusqu’où se mettre en danger pour composer ainsi un personnage
hallucinant de vulnérabilité, laquelle sue par son chant et son physique, et
trouvera dans l’acte final de quoi nous étreindre encore face à son
obstination meurtrière, pouvoir absolu de l’homme sur la femme – selon une
tradition séculaire remise en cause tout récemment seulement.
Dans
les mains de Niermeyer, Anja Harteros s’applique à le montrer également.
Desdémone se sait piégée, non par l’intrigue de Iago (qu’elle aidera si
bêtement à rendre crédible), mais par le drame de son couple, où la
tradition d’obéissance portera sa fragilité de femme à se plier à
l’acceptation de son destin de victime. L’élégance naturelle de la
chanteuse, son art du chant – même si elle n’a plus tout à fait les
merveilles d’allègement qu’on lui entendait dans ses Verdi voici cinq ans –,
ses qualités d’actrice sensible et naturelle, cachant sous une placidité
relative un magnétisme saisissant, en font une Desdémone idéale. La chanson
du Saule, la Prière restent ainsi des sommets, tandis que sa présence dans
les grands ensembles choraux – où la phalange munichoise reste d’un niveau
constant de splendeur – montre assez la projection d’une voix rare.
Malgré l’excellente Rachael Wilson, le très lyrique Evan LeRoy Johnson, mais
aussi le peu impressionnant Balint Szabo, le reste de la distribution ne
peut que pâlir devant pareil trio. Mais c’est sans importance, vu la
puissance expressive du drame que portent le chef, la metteuse en scène et
les trois interprètes clés. Triomphe absolu, bien entendu.
A deux
jours près, les 50 ans du ténor ont été salués aux rappels par l’orchestre
jouant Alles gute zum Geburstag, les compliments du directeur et, en petit
cadeau, l’enregistrement live des Meistersinger à paraître le lendemain.
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