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Opéra, Mai 2019 |
RICHARD MARTET |
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Verdi: La forza del destino, London, ab 21. März 2019
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La forza del destino
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Pour le retour à l'affiche de La forza
del destino, après quinze ans d'absence, le Covent Garden n'a pas lésiné.
Peut-on rêver, en effet, trio plus prestigieux que celui réunissant Anna
Netrebko, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier ? Et quand les vedettes sont à la
hauteur des espoirs placés en elles, le plaisir est total.
Pour ses
débuts en Leonora, Anna Netrebko déploie toutes les ressources qui font
d'elle l'une des meilleures cantatrices verdiennes du moment : timbre d'une
opulence et d'un velours envoûtants ; puissance ; beauté de l'aigu, forte
comme piano ; richesse du bas médium et du grave ; sens aigu du
clair-obscur. Impossible de résister à pareille splendeur, qui nous ramène
aux temps glorieux de Zinka Milanov, Renata Tebaldi et Leontyne Price ! S'il
fallait adresser un (léger) reproche à Anna Netrebko, incomparablement mieux
préparée que pour sa première Floria Tosca au Met, la saison dernière (voir
O. M. n° 140 p. 58 de juin 2018), ce serait celui de ne pas toujours tenir
sous contrôle son vibrato et, surtout, de tomber parfois à côté de la note
dans l'aigu. L'instrument, en effet, est devenu tellement lourd que la
cantatrice doit déployer des efforts considérables pour l'alléger quand
c'est nécessaire, au risque d'attaquer trop haut. Régulièrement signalé en
déclin, ces dernières années, Jonas Kaufmann apparaît dans une forme vocale
somptueuse. À peine perçoit-on quelques tensions dans la seconde partie de
l'acte III - particulièrement éprouvant, on le sait, quand on décide de
jouer la partition dans son intégralité, sans la coupure « de tradition» du
deuxième duo avec Don Carlo («Né gustare m'è dato... Sleale ! Il segreto»).
Un duo dans lequel cet artiste absolument unique dans le panorama
actuel, prêt à prendre tous les risques (le détimbrage et la surarticulation
résolument assumés, à l'attaque de l'air « O tu che in seno agli angeli»,
seraient insupportables chez tout autre que lui 1), offre le meilleur de
lui-même. Comment résister à la caresse et à l'émotion de son phrasé dans le
cantabile «No, d'un imene il vincolo» Ludovic Tézier, enfin, se confirme le
meilleur baryton Verdi actuel, et de très loin. Il en a tous les atouts :
timbre cuivré, émission arrogante, aigu facile, sens des nuances. Violent et
mono-maniaque comme il le faut, son Don Carlo ne perd pour autant jamais de
vue la noblesse et l'élégance de la ligne, en particulier dans sa grande
scène du III (« Morir ! Tremenda cosa... ») et dans son ultime duo avec Don
Alvaro, au IV (« Le minaccie, i fieri accenti»), où il se montre l'égal de
ses plus formidables prédécesseurs, Ettore Bastianini, Leonard Warren,
Sherrill Milnes et Giorgio Zancanaro en tête.
La forza del destino,
ceci dit, ne se résume pas au trio Leonora/Alvaro /Carlo et le reste de la
distribution ne saurait être traité comme quantité négligeable. On apprécie
ainsi la qualité des interventions de l'Alcade et, surtout, du Trabuco de
Carlo Bosi qui, tirant le meilleur parti de l'absence de coupures, fait du
muletier un personnage à part entière. Très sollicitée, notamment parce
qu'il lui faut danser avec les choeurs, à la fin du III, Veronica Simeoni ne
démérite pas en Preziosilla. Elle se sort même plutôt bien d'un rôle
redoutable, grâce notamment à un aigu franc et percutant.
Il est
simplement dommage que son charisme vocal n'égale pas tout à fait sa
ravageuse présence scénique. Reste le quatuor des vétérans. Alessandro
Corbelli (66 ans) en est le benjamin, Fra Melitone à l'aigu ne répondant
plus que par intermittence, mais au timbre toujours bien en situation et au
comique dosé avec science. Robert Lloyd (79 ans) en est le doyen,
Quand les vedettes sont à la hauteur des espoirs placés en elles, le plaisir
est total.
Marquis de Calatrava qui en impose encore, malgré l'usure
des moyens.
Ferruccio Furlanetto et Roberta Alexander fêtent (ou ont
fêté) leurs 70 ans, cette année. La basse italienne n'a jamais eu ce que
l'on appelle une «belle voix» et l'âge n'a rien arrangé. Mais sa puissance
et son autorité lui permettent de camper un digne Padre Guardiano. Quant à
la soprano américaine, si elle n'évoque plus un instant les Donna Elvira et
Theodora qu'elle fut jadis pour Nikolaus Harnoncourt, on ne saurait lui nier
de la présence en Curra.
Au pupitre d'une phalange et d'un choeur
dans une forme étincelante, Antonio Pappano confirme sa sensibilité aux
exigences des chanteurs : il suffit de voir la manière dont Anna Netrebko ne
le quitte quasiment jamais du regard, pour comprendre tout ce que sa Leonora
doit aux soins attentifs du chef. Il dirige également beaucoup mieux Verdi
qu'il y a vingt ans, sans que l'on entende surgir de la fosse une excitation
comparable à celle procurée par les chanteurs. Manque le « petit plus» par
lequel un Dimitri Mitropoulos, un Riccardo Muti ou un James Levine savaient
mettre le feu dans l'orchestre.
Coproduit avec le Nationale Opera
d'Amsterdam, où il a vu le jour, en septembre 2017, le spectacle de Christof
Loy et son équipe a été très bien décrit dans ces colonnes par Mehdi Mandavi
(voir O. M. n° 133 p. 28 de novembre). Efficace et lisible, il a le mérite
de ne jamais faire obstacle au pouvoir d'expression de la musique. C'est
déjà beaucoup, surtout quand celle-ci est chantée d'aussi électrisante
manière.
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