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Classique News, 23.09.2018 |
Emmanuel Andrieu |
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Liederabend, Grand-Théâtre Bordeaux, 18. September 2018
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Compte-rendu, récital. Bordeaux, le 18 sept 2018
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Après l’avoir accueilli une première
fois en 2007 (dans une salle bien clairsemée, il n’était pas encore la star
qu’il est devenu…), le Grand-Théâtre de Bordeaux a ouvert sa saison avec un
récital de Jonas Kaufmann, le chanteur lyrique le plus couru de la planète.
Tellement couru que les places se sont tout bonnement arrachées, et que tout
était » sold out » quelques minutes après l’ouverture de la location sur
internet… Ce n’était pourtant pas un programme facile qu’il proposait là,
aux côtés de son partenaire et ami de toujours le pianiste Helmut Deutsch :
des Lieder de Liszt, Wolf et Mahler, bien moins faciles d’accès que les
tubes du répertoire lyrique qu’il avait par exemple proposé, quatre jours
auparavant, à son public moscovite…
Premier des quatre cycles au
programme ce soir, 6 Lieder de Franz Liszt, dans lesquels il apparaît tout
de suite évident qu’à la différence du piano, l’écriture pour la voix prend
chez le célèbre compositeur allemand une tournure autrement plus concentrée,
loin des concessions virtuoses et éphémères qu’avec « l’instrument roi ».
Cette assertion, Jonas Kaufmann la fait sienne : le ton est impérieux autant
que la phrase est impérative. Dès le « Vergiftet sind meine Lieder » («
Empoisonnés sont mes chants »), la voix se joue des difficultés et séduit
irrésistiblement. Suit le très beau « Im Rhein, im schönen Strome » (« Dans
le Rhin, dans ce beau fleuve »), où son impressionnant registre grave est
mis à contribution, en même temps que des fêlures dans le déploiement de la
ligne apparaissent, qui se transforment en une somptueuse plus-value
expressive dans le Lied « Ihr Glocken von Marling », sommet absolu de ce
premier bouquet de Lieder, traversé d’un bout à l’autre par la sensation
d’un aboutissement phénoménal. Le second cycle offre à entendre les fameux 5
Rückert Lieder de Gustav Mahler, à l’origine écrits pour voix de baryton et
orchestre. Ici, seulement accompagné au piano, et donc dépouillée de la
splendeur des couleurs orchestrales, la voix du ténor allemand semble
délestée du poids du monde extérieur, des distractions pesantes et inutiles,
comme le dit si bien le Lied « Ich bin der Welt abhanden gekommen ». Et dans
le poignant « Um Mitternacht » conclusif, il semble chanter comme pour
lui-même, en établissant un calme intérieur pour amener l’auditeur vers
l’ineffable…
Après une pause bienvenue pour se remettre de ce dernier
Lied, c’est le recueil des Liederstrauss de Hugo Wolf d’après des poèmes de
Heinrich Heine auquel le duo s’attaque. Tout le talent de Wolf pour les
clairs-obscurs et toute la complexité de son écriture sont remarquablement
interprétés par les deux acolytes, mais nous nous attarderons cette fois sur
le piano de Helmut Deutsch, un instrument qui n’accompagne, ici, pas le
chant, mais qui, sous les doigts de ce grand artiste, se fait le double de
la voix, épousant la courbe et le poids de chaque note, avec des sonorités
incroyablement lumineuses et délicates qui sculptent littéralement l’espace.
Et c’est par les sublimes 4 derniers Lieder de Richard Strauss que se clôt
la soirée, un cycle expressément écrit pour une voix féminine, et dont les
intentions techniques et expressives de l’écriture ne « tombent » donc pas
vraiment dans le format naturel de la voix de Jonas Kaufmann… mais c’est
sans compter sur le pouvoir d’expression d’un romantisme intérieur qu’il
sait parfaitement véhiculer. Grâce à la force de sa sensibilité toute en
finesse et en profondeur, on ne peut ainsi que rendre les armes à l’issue du
sublime « Im Abendrot », dans lequel le timbre et la concentration extrême
du chanteur, ainsi que son incomparable capacité à créer l’intimité,
subjuguent les spectateurs bordelais. A ce moment de la soirée, la douceur
de sa voix – devenue simple murmure – touche jusqu’à l’extase, rejoignant
d’un coup, dans la confidence, la part la plus secrète du moi de l’auditeur…
et il ne faudra pas moins de cinq bis (quatre de Strauss et un de Liszt)
pour étancher et calmer le trop plein d’émotion d’un public en vénération
devant son idole !
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