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Forum Opera, 07 Décembre 2018 |
Par Camille De Rijck |
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Verdi: Otello, Bayerische Staatsoper, 28. November 2018
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Otello en ses affres
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Qu’est-ce que la jalousie ? Une passion,
disaient les Anciens ; une névrose, répondent les modernes. C’est vers cette
lecture que nous entraîne Amélie Niermeyer. Au décorum rutilant qui pourrait
accueillir les débordements de l’hybris se substitue le minimalisme d’un
salon et d’une chambre. Huis-clos bourgeois tirant l’Otello shakespearien
vers les affres d’un Ibsen, exact contemporain de Verdi. Cela fonctionne
parfaitement, parfois trop bien : les ficelles dramaturgiques que Boito a
habillées de sa langue précieuse apparaissent, ainsi dépouillées des
prestiges du décorum, comme de simples situations clichés (en particulier
III,5). Mais de cela, Niermeyer n’est en rien responsable. D’autant que le
travail mené avec les chanteurs – et avec les artistes du chœur, masse
puissante et sans visage – est d’une cohérence et d’un effet admirables.
En tête, un Iago simplement serpentin, campé par un Gerald Finley à la
fois obscène, lascif, brutal : le parfait nihiliste, infusant en tout une
sorte d’insinuation corrosive que son chant tout de nuances porte avec
génie. Il est dans le trio – censément bourgeois, donc – formé avec Otello
et Desdémone, un trait d’union tout d’ambiguïté homoérotique. Mais il ne lui
faut guère de peine pour cisailler l’esprit d’Otello – ce fier général en
chef arbore le cheveu ras et la mise ordinaire d’un petit soldat :
impossible en le voyant si modeste et si hanté à la fois, si tourmenté et si
médiocre, de ne pas songer à une sorte de Wozzeck travaillé par ses affres.
Jonas Kaufmann, capable des plus grandes passions, se montre ici stupéfiant
dans la figuration d’un esprit miné de failles qui, accumulées, le défont.
Reste, à la fin, la brute. La scène où il étrangle Desdémone à même le sol
de cette chambre glaciale dérange par son naturalisme – et c’est bien cela,
se dit-on alors, qui était recherché. Cette pitié qu’on ressent pour
Desdémone et à ce dégoût pour l’homme réduit à sa force est le résultat
impeccable d’un travail de tissage de leur identité et de leur relation
pendant tout l’opéra. Ces personnages littéralement existent dans leur
nudité, moins à la manière de Shakespeare qu’à celle de Strindberg.
Et dans cette vérité quasi expressionniste, les grandes orgues vocales n’ont
pas leur place. C’est ainsi que les deux monologues d’Otello sont chantés
par Kaufmann avec une intensité, une concentration, un défi même à ce qui
pourrait n’être que chant et qui devient récitation, que l’on n’est pas près
d’oublier. Sans jamais perdre le souffle, ni la ligne, il livre une leçon
d’expression, comme délitée, trouée de silence. C’est la mort même qui
s’est, ce soir-là, invitée dans ce chant. A rebours, Anja Harteros en
Desdémone n’est que dignité et tenue, et le pressentiment de la mort, à
l’acte IV, prend alors cette couleur sublime qui n’est qu’aux âmes pures –
se détachant comme une tache de lumière sur l’ombre noire des vices
masculins. L’air du IV y trouve un relief inouÏ.
Il fallait à ce pari
du resserrement extrême, outre des chanteurs hors pair guidés par une mise
en scène implacable, la main d’un chef – Kirill Petrenko – qui pas un
instant n’en relâche la tension. Les accords d’ouverture d’emblée coupent le
souffle. On ne le reprendra plus. Ce n’est pas une fosse d’orchestre, c’est
une lave ardente qui lentement nous dévore, mais qui aussi bien consume les
personnages – et pas un instant cette brûlure ne se laisse oublier, comme si
l’orchestre devenait l’incarnation invisible mais insinuante de ce fatum
déployant sourdement son œuvre de mort.
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