rtbf, 17 février 2017
Christian Jade
 
Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, Januar 2017
 
Opéra de Paris : " Lohengrin " de Wagner. Fragile comme un enfant perdu, dans la version de Claus Guth.
J’ai toujours eu un problème avec le cygne en général et sa représentation romantique, wagnérienne, en particulier dans " Lohengrin ". Apparemment le metteur en scène Claus Guth partage cette allergie et résout le problème avec élégance. Dans sa version, créée à la Scala il y a 5 ans, et reprise actuellement à l’Opéra de Paris, Lohengrin n’apparaît pas en majesté sur son volatile. Il tombe du ciel en position fœtale, comme un animal blessé et craintif alors qu’il est appelé à jouer les héros à la Cour du duc de Brabant. Il doit venger l’honneur perdu d’Elsa, héritière accusée du meurtre de son frère par son abominable rivale Ortrud et son homme de main Telramund. Absent, le cygne ? Discret plutôt, présent dans le fantôme enfantin du frère mort qui rôde ici et là et surgira à la fin, dans un halo poétique. Le Cygne est là, diffus et symbolique, reflété dans le contraste entre la blancheur lumineuse de la robe d’Elsa et la noirceur de la robe, identique, de sa rivale, comme si l’action se résumait à l’affrontement d’un cygne blanc et d’un cygne noir, à peine arbitré par Lohengrin, un héros lointain, certes divin mais qui doit cacher son identité de représentant du Graal, lui, le fils de Perceval. C’est d’ailleurs pour avoir cherché à percer son identité, après leur mariage, qu’Elsa entraîne meurtres, suicide et fuite du héros vers son divin royaume.

Un héros wagnérien fragile face au Bien et au Mal.

La version de Claus Guth situe l’action et la scénographie non pas au Xè siècle historique des ducs de Brabant mais à l’époque de la création de l’œuvre en 1850, dans une énorme demeure qui permet de déployer discrètement les choristes et laisse la place, au centre, à un champ de roseaux où coule une rivière. Dans le même espace, la société civile, le rapport de forces politique face au champ à fantasmes d’Elsa. Claus Guth insinue aussi la biographie de Wagner en arrière plan puisqu’ à cette époque, Wagner " révolutionnaire " raté à Dresde, doit s’exiler et se projette dans ce héros entre ciel et terre, en mal d’incarnation. Situer l’action au milieu du XIXè siècle permet aussi de justifier la transformation de Lohengrin en un " enfant sauvage ", façon Kaspar Hauser, mort assassiné, qui défrayait la chronique en Allemagne depuis 1828 et dont le mystère n’est toujours pas résolu. Claus Guth fragilise donc le héros wagnérien : " invité, écrit-il, à toujours être le sauveur de quelqu’un, il n’arrive pas à trouver sa propre identité ".

Représenté par le mythique ténor Jonas Kaufmann, victime d’un caillot dans la gorge qui a menacé sa voix jusqu’à la première, on ne pouvait rêver de meilleure incarnation du héros fragile et fort à la fois, surmontant l’épreuve à son avantage. Nuances infinies du registre vocal et timbre impressionnant de justesse ; avec une maîtrise prudente, réservant le plus fort de son énergie au 3è acte et son fameux air " In fernem Land " (Dans un pays lointain) où il avoue son origine sacrée pour mieux tirer sa révérence. L’autre force " hors norme " de cette distribution c’est la mezzo Evelyn Herlitzius, cantatrice dramatique d’une férocité mordante dont la voix, impérieuse, déchaînée qui maîtrise tous ses partenaires. Aussi impressionnante ici, Evelyn Herlitzius, que dans son incarnation d’ " Elektra " de Strauss à Aix, la dernière mise en scène de Patrice Chéreau.

Quant à la deuxième distribution elle est d’égale qualité avec, en Lohengrin, Stuart Skelton, " male singer of the world, 2014 " et en Ortrud, Michaela Schuster que toutes les grandes salles d’opéra du monde s’arrachent. Un grand opéra se juge aussi à la force de ses 2è distributions.

Mais la beauté musicale de l’ensemble tient d’abord à la maîtrise parfaite et des chœurs et de l’orchestre par Philippe Jordan, qui nous fait sentir toutes les promesses des futurs " drames musicaux " de la maturité. Deux somptueux préludes (1er et 3è acte), une conduite symphonique claire et intense de l’œuvre qui annonce la future " mélodie continue " de Tristan et du Ring et des leitmotive, ici embryonnaires. Mais surtout un dialogue précis avec tous les solistes pour intégrer leur chant dans la symphonie globale. D’autant plus impressionnant que Philippe Jordan, d’un soir à l’autre, pendant un mois, passe, sans transition, de Mozart à Wagner, du " Cosi " d’Anne-Teresa De Keersmaeker au " Lohengrin " de Claus Guth. Sans effort apparent. Avec la même justesse sans emphase. Du très grand art.






 
 
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