Les Echos, Le 23/01/2017
Philippe Venturini
 
Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, 18. Januar 2017
 
« Lohengrin » en ange déchu à l’Opéra de Paris
Lohengrin n'apparaît pas vêtu d'une armure d'argent dans une nacelle tirée par un cygne. L'image, pourtant réclamée par le livret, a suscité tant de parodies et d'effets comiques, parfois involontaires, que les metteurs en scène s'en méfient. Mais contourner l'obstacle ne signifie pas le nier. A l'Opéra de Paris, Claus Guth, en fin lecteur, a su conserver la nature singulière du héros de Wagner (quelques plumes flottent d'ailleurs dans l'air).

Impressionnant Jonas Kaufmann

Lohengrin perd son équipement militaire parce que l'action a quitté le Moyen Age pour le milieu du XIXe siècle (décors et lumières splendides), qui voit naître cet opéra. Il porte un simple costume noir et blanc, parce qu'il ne prend pas la posture du héros : il arrive parmi les hommes tel un ange (dé)chu, pieds nus, recroquevillé au sol et tremblotant, épuisé à l'avance par les travaux à réaliser. Il doit, en effet, défendre Elsa, accusée par Friedrich von Telramund et son épouse Ortrud d'avoir tué son jeune frère pour régner. Mais Lohengrin ne pourra mener à bien son oeuvre que si Elsa ne cherche pas à connaître son identité.

Figure de l'artiste incompris (autoportrait de Wagner), comme de l'homme politique qui vient réconcilier une communauté divisée (combat pour le pouvoir), le portrait de Lohengrin que propose Claus Guth se révèle d'une pénétrante acuité : il creuse l'ambiguïté et les fragilités de ce fils d'un chevalier du Graal qui a échoué - la curiosité d'Elsa, attisée par le couple Friedrich-Ortrud, ayant rendu impossible leur union.

Attendu avec impatience par ses fans, le ténor allemand Jonas Kaufmann, qui endossait déjà le rôle-titre lors de la création de ce spectacle à la Scala de Milan en 2012, n'a pas déçu. Le bronze de sa voix a sans doute perdu de son éclat, mais l'intelligence du chant, la subtilité des phrasés et la richesse des couleurs nous ont impressionnés. D'un plateau vocal de luxe, on retiendra aussi l'autorité naturelle du roi Henri de René Pape et l'arrogance du Telramund de Tomasz Konieczny. Il faut dire qu'il vit sous la coupe de l'Ortrud machiavélique d'Evelyn Herlitzius, jumelle de Lady Macbeth, prête à tout pour la couronne. D'une voix plus blanche, l'Elsa de Martina Serafin a paru un brin en deçà des possibilités expressives du rôle. Impérial et ardent, Philippe Jordan a fait sonner l'Orchestre de l'Opéra de Paris avec autant de grâce (la lumière de vitrail du prélude) que de puissance (les grands ensembles), contribuant activement à cette réussite incontestable.






 
 
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