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Le Point, 20/10/2017 |
Par Baudouin Eschapasse |
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Verdi: Don Carlos, Paris, Oktober 2017
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Opéra : le "Don Carlos" très politique de Warlikowski
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Diffusé en direct jeudi soir sur Arte et
dans certains cinémas, l'opéra de Giuseppe Verdi est rejoué à Paris, 150 ans
après sa création. Somptueux !
C'est un événement de la saison
lyrique. Créé le 11 mars 1867 à Garnier, quelques jours avant l'inauguration
de l'exposition universelle se déroulant à Paris, l'opéra de Giuseppe Verdi
Don Carlos est remonté cet automne à l'Opéra Bastille. Sa distribution
compte les plus grands chanteurs du moment. À commencer par le ténor
allemand Jonas Kaufmann qui interprète le rôle-titre et la soprano bulgare
Sonya Yoncheva qui lui donne la réplique. La mise en scène, signée du
sulfureux Krzysztof Warlikowski, n'est pas pour rien dans le bruit qui est
fait autour de cette production.
Disons-le tout de suite : ce battage
médiatique est mérité. En dépit des huées qui ont fusé lors de la première
et qui visaient surtout Warlikowski, qui paye peut-être ici l'audace et
l'emphase de ses précédentes mises en scène, ce Don Carlos est somptueux.
Verdi avait été déçu, dit-on, par les chorégraphies de Lucien Petipa, en
1867. Le compositeur italien serait probablement enchanté par cette reprise,
qui ne comprend pas de ballets. Les têtes d'affiche ne sont pas les seules à
mériter les éloges. Les seconds rôles étincellent : qu'il s'agisse d'Ildar
Abdrazakov en Philippe II ou de Dmitry Belosselskiy en Grand Inquisiteur qui
forment un titanesque duo de basse. Ou encore de la mezzo Elina Garanca, en
princesse Eboli, et de Ludovic Tézier, en Rodrigue, qui complètent ce
plateau de stars. N'oublions pas Philippe Jordan qui dirige d'une main de
maître les musiciens de l'orchestre national de Paris.
Réflexion sur
le pouvoir
Malgré l'austérité du décor et de trop longs intermèdes
cinématographiques où les visages de chacun des héros apparaissent en toile
de fond comme dans un pastiche d'Eisenstein, mâtiné de Goya..., cet opéra
souligne l'extraordinaire modernité de Verdi. L'intrigue a beau se dérouler
en 1559 en France, puis en Espagne une dizaine d'années plus tard, Don
Carlos donne à voir un chef d'État très moderne. Un monarque menacé de
perdre son trône car la révolution gronde. Philippe II se frottera, de fait,
à une révolte populaire, dite des "morisques", sur fond d'intolérance
religieuse en 1568. L'opéra de Verdi dépeint aussi un roi instrumentalisant
"la raison d'État" pour ravir à son fils (Carlos) sa promise (Élisabeth de
Valois, fille d'Henri II de France).
La scénographe Małgorzata
Szczęśniak, également en charge des costumes, a habillé les personnages
comme la famille royale espagnole des années 1950. Un choix lourd de
sous-entendu. Plane ainsi, de manière anachronique, le fantôme de Franco. La
mise en scène entend, de fait, dénoncer les tyrans, dominés par leurs
passions, tiraillés par leurs ambitions et souvent placés sous l'emprise de
mentors religieux. Le Grand Inquisiteur, ici fanatisé, apparaît comme le
double de Raspoutine, évoqué sur grand écran en train de manger un homme,
tel le Saturne dévorant un de ses fils du musée du Prado à Madrid. Don
Carlos moque ainsi les théocraties qui, sous couvert de religion, imposent
un carcan serré à leur société civile, là où leurs élites s'affranchissent
des règles morales qu'elle prétendent hyprocritement défendre. Faites ce que
je dis, pas ce que je fais !
Réglement de comptes entre un père et
son fils
Cet opéra aborde aussi le thème de l'affrontement
générationnel : la difficulté pour Philippe II de s'imposer comme le digne
successeur de Charles Quint. Et l'impossibilité pour l'infant d'Espagne
d'emprunter un autre chemin que celui de son père. L'échec, enfin, de toute
tentative de réforme d'un régime autocratique et centralisateur se télescope
avec l'actualité et les désirs d'indépendance de la Catalogne. Le vrai
personnage de Carlos, prince des Asturies et duc de Montblanc, finit par
mourir en prison, condamné par l'Inquisition, à l'âge de 23 ans. Son père ne
lui avait jamais pardonné d'avoir soutenu les velléités d'indépendance de la
population hollandaise, placée alors sous l'autorité de la couronne
ibérique.
Le livret en français, de Joseph Méry (mort en cours
d'écriture) et de Camille du Locle (qui travaillera aussi sur Aïda en 1869),
reprend fidèlement le cheminement du drame de Schiller, intitulé Don Karlos
et publié en 1787. C'est grâce à lui que se devinent, en filigrane, les
tourments du marquis de Posa, taraudé par des questions d'éthique, et qui
finira par se donner la mort après avoir trahi Carlos. Une tragédie
somptueusement restituée à Bastille et qui mérite d'autant plus d'être
diffusée à la télévision et au cinéma que ce type de drame forme le motif
narratif de nombreux films hollywoodiens. Don Carlos n'est-il pas, en fin de
compte, un "blockbuster" lyrique ?
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