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Opera Online, 27.3.2017 |
Kévin Lérou |
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Giordano: Andrea Chenier, konzertant, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 26. März 2017
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Andrea Chenier triomphal au Théâtre des Champs-Elysées
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Puisque de nos jours de nombreux
concepts sont assortis du petit préfixe post-, il ne semble pas incongru
d’en créer un de plus. La post-perfection.
Ce n’est plus la
perfection. C’est le stade d’après. C’est là qu’en est Jonas Kaufmann.
Peut-être qu’un certain âge d’or physique est derrière lui. Peut-être la
santé vocale est-elle moins éblouissante. Mais pour tout le reste, il
continue de repousser les limites de l’art lyrique.
La beauté du
timbre a pris une tournure liquoreuse. Le phrasé s’est bonifié avec
l’expérience de cette partition hors-normes. L’italien est somptueux. Le
legato indestructible.
Si par endroits, une note apparaît moins
parfaite, la voix a l'air en danger, on tremble. Le son crisse. On se
rappelle qu’il a annulé beaucoup de dates depuis quelques mois. Il est
fragile.
Il tient bon, le souffle poursuit son travail imperturbable,
et les astres s’alignent à nouveau. Soulagement du public. Et puis la voix
envahit le théâtre, ronde, mature, immense. Délectable.
Avant c’était
parfait. Maintenant, c’est sublime. On voit un artiste de classe mondiale
qui s’offre, qui ruse, qui dose son effort alors qu’on ne connaissait pas
ses limites. C’est un choc : le parfait et l’imparfait connectés dans le
même souffle. On tremble et on s’extasie dans la même phrase. Kaufmann est
plus généreux qu’il ne l’a jamais été.
La présence de sa compagne de
scène Anja Harteros n’y est pas étrangère. Elle aussi est passée au-delà de
la perfection. Elle joue, elle ne chante plus, elle peint. Quand la
technique est parfaite, il n’y a plus que l’art qui compte. Elle fait ce
qu’elle décide, ce qu’elle désire. Métal, velours ou miel, elle évolue
toujours dans la communion avec le spectateur, l’orchestre... et Kaufmann.
Les deux artistes se connaissent bien et depuis longtemps. Ils sont
immédiatement « branchés ». Alors que l’opéra était présenté en version de
concert, ils établissent immédiatement le contact. Un regard leur suffit.
C’est le coup de foudre entre André et Madeleine. Ils jouent tantôt comme
des enfants, tantôt comme des tragédiens. Ils sont libres.
L’absence
de mise en scène nous permet de nous concentrer sur le son comme pour un
récital grand-format. Les airs solistes sont accueillis par des ovations et
les duos sont encore plus applaudis. C’est le triomphe de l’empathie : il
faiblit, elle le retrouve, il respire, elle s’oublie, il s’abandonne. La
tête nous tourne.
Derrière eux, l’orchestre et le chœur de la
Bayerische Staatsoper font merveille sous la baguette de Omer Meir Wellber.
La partition de Giordano reconstitue les drames de la Révolution française :
les danses baroques de l’aristocratie, la marche du peuple en révolte, le
règne de la Terreur, le vérisme des héros romantiques. Pour un orchestre,
c’est comme jongler entre Beethoven, Wagner, Puccini et Massenet… tout en
évoquant le siècle de Mozart. Le chef danse d’une atmosphère à l’autre. Le
chœur interprète l’assemblée des nobles avec classe et suspension, puis
incarne le peuple libéré avec ses rires, ses éclats mais aussi sa cruauté.
Bien sûr, il y avait d’autres chanteurs. Mais le Caro Gérard de Luca
Salsi n’entrera pas dans la légende. Bien chanté de bout en bout, le
contraste entre l'hystérie suscitée par le ténor et la soprano laisse
malheureusement le baryton en retrait. Les déplacements sont patauds, il
souffre surtout la comparaison en tant qu’acteur. Il faut être un monstre de
scène pour tenir sa place entre Harteros et Kaufmann qui eux chantent et
bougent d’un même élan.
On se rappellera notamment deux interventions
excellentes. La Comtesse de Coigny de Doris Soffel est tout ce qu’on
pourrait souhaiter : tranchante, mondaine, et tellement imprégnée du système
des privilèges qu’elle ne comprend même pas ce que les masses révoltées
peuvent bien lui reprocher. C’est une voix dont il ne reste que l'acide et
le froid. La vieille Madelon d’Elena Zilio, caverneuse, sépulcrale, en est
la figure inversée, bouleversante.
Ces deux caractères sont seulement
de passage dans l’opéra. Dans ces portraits musicaux en un seul acte ou même
en un seul air, Giordano fait non seulement preuve de son immense
savoir-faire, mais attire l’attention sur deux femmes qui incarnent toute la
tension du livret d’Illica. D’un côté, l’aristocrate qui reproduit la
violence de tout un régime et sauvera sa fille au prix de sa propre vie, de
l’autre la grand-mère misérable qui vient inscrire son petit-fils aux bancs
de l’armée révolutionnaire. Elle le sacrifie sur l’autel d’un avenir
meilleur pour l’humanité.
André et Madeleine, quant à eux, n’ont pas
de contradictions, ils ne font pas de compromis. Ce sont des artistes. Ils
ne participent ni à l’Ancien Régime ni au nouveau, ils ne participent pas à
la guerre des citoyens. S’ils doivent faire un sacrifice, c’est celui de
leur propre vie. Ils portent en eux une révolution qui ne s’arrête pas à un
changement d’institutions, au remplacement de tyrans par d’autres tyrans.
Celle de la compassion qu’il faut recommencer chaque jour.
Andrea
Chénier est une œuvre qui trouble à chaque fois. À l’heure de ladite «
post-vérité » où chacun aurait sa vérité, où toutes les vérités se
vaudraient, redécouvrir le vérisme fait du bien. Dans ce genre que le public
français avait longtemps dénigré, les personnages sont campés avec tant
d’emphase que les fausses vérités pâlissent vite devant la pureté des
consciences.
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