l'Humanité, 15 Décembre, 2015
Maurice Ulrich
 
Berlioz: La damnation de Faust, Paris, Opera Bastille, 8. Dezember 2015
 
La damnation de Faust se perd dans l’espace
A l’Opéra bastille, la mise en scène de l’œuvre de Berlioz par Alvis Hermanis largement huée par un public ravi en revanche par la direction d’orchestre et la qualité des interprètes.
 
Berlioz n’a pas encore trente ans quand il découvre le Faust de Goethe dans la traduction de Gérard de Nerval, qui ne le quittera plus. Il compose alors Huit scènes de Faust qui ne seront jamais jouées et c’est seulement une quinzaine d’années plus tard, en 1846, qu’il s’attelle à son Faust, écrivant lui-même le livret et composant selon ses dires un peu partout, n’importe où et tout le temps. Le mythe Faustien, résumé par un pacte avec le diable en vue de la connaissance ou d’une éternelle jeunesse, est bien antérieur aux deux Faust de Goethe. (Car il y en a bien deux, le second étant beaucoup plus emporté, allant jusqu’à se que se croisent dans on ne sait trop quelle région de l’univers, Marguerite et Hélène de Troie, le couple Faust-Méphisto et la Méduse dont il faut éviter le regard sous peine d’être changé en pierre etc.).

Mais au cœur des deux œuvres de Goethe il ya cette supplique, adressée à Méphisto et qui en résume le sens comme celui d’une lutte contre la fuite du temps, une quête de l’infini en même temps que de l’amour :

« Rends-moi donc ces désirs qui fatiguaient ma vie,
Ces chagrins déchirants, mais qu’à présent j’envie,
Ma jeunesse !... En un mot, sache en moi ranimer
La force de haïr et le pouvoir d’aimer ! ».

C’est sans doute pour l’essentiel ce que Berlioz a retenu de Goethe : « Par le monde où trouver ce qui manque à ma vie ? », ce que va lui apporter Méphistophélès : « Je suis l’esprit de vie et c’est moi qui console. Je te donnerai tout, le bonheur, le plaisir, Tout ce que rêver le plus ardent désir ». L’affaire finira mal et tandis que Margarita, séduite par Faust sera sauvée et montera vers les cieux, Faust va être emporté par un vortex de feu et dans un déchaînement orchestral à dresser les cheveux sur la tête. A ce point et pour en venir à cette nouvelle production de l’œuvre à l’Opéra de Paris, il faut saluer la direction d’orchestre de Philip Jordan, comme la qualité des chœurs et les prestations de Sophie Koch, Bryn Terfel et Jonas Kaufmann en Faust, un peu en retrait dans la première partie mais magnifique ensuite, en particulier dans « l’invocation à la nature ». A tout cela et à ceux-là, le public a fait un triomphe sans réserve, en total contraste avec une mise en scène huée comme rarement à l’opéra. Alvis Hermanis avait eut, à priori, une idée qui se tient. Transposer l’histoire de nos jours ce qui n’est pas un problème mais en faisant de la quête de Faust une quête de la connaissance des hommes décidés à sortir des limites de la terre, avec aussi, comme en filigrane, la tentation du trans-humanisme, c'est-à-dire de l’homme « augmenté » par la technologie, ce à quoi travaillent des groupes comme Google et d’autres. Ce pourquoi il a mis sur scène un acteur en Fauteuil roulant représentant l’astrophysicien Stephen Hawking, comme un Faust de notre temps, tandis que défilent des images vidéo de la terre, de planètes, de fourmis, d’escargots, de baleine etc. et que passe de temps en temps sur le plateau un Robot d’exploration martienne. Sur scène également des humains se débattent régulièrement dans des cages de verre et ce qui pourrait nous faire penser à Pascal comparant les hommes à des condamnés à mort attendant l’exécution devient malheureusement répétitif et lassant. Tenter une telle mise en scène semblait une bonne idée, mais les deux discours, celui du Faust de Berlioz et celui de la Technologie évoluent sans jamais se rencontrer. Cela ne marche pas.
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