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Classic Toulouse, 15 décembre 2015 |
Robert Pénavayre |
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Berlioz: La damnation de Faust, Paris, Opera Bastille, 8. Dezember 2015
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2025, l’Odyssée de Faust- 11.12.2015
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Il est des spectacles exigeants. Celui que nous propose Stéphane Lissner en
ce début de saison 2015/2016 de l’Opéra de Paris appartient
incontestablement à cette catégorie. Aussi, faute de se plonger si tôt
arrivé dans le programme de salle et malgré quelques explications données en
liminaire à la représentation, il est aisé de comprendre le désarroi de
certains spectateurs. Beaucoup moins leurs sifflets et leurs huées à la fin
de la première, le 8 décembre.
Beaucoup moins car la dernière
demi-heure donne les clés d’une conception dramaturgique d’une implacable
cohérence. Que l’on soit d’accord ou pas, que l’on préfère une vision
muséale à une extrapolation aussi intelligente soit-elle, c’est un sujet qui
appartient à chacun de nous. Mais ce qui ne se discute pas, c’est le respect
que l’on doit aux artistes, metteur en scène inclus. Siffler un spectacle en
cours de représentation, c’est troubler autant les musiciens que le chef
d’orchestre et les solistes. C’est aussi totalement ignorer la somme de
travail et de concentration qu’exige ce métier. C’est plus simplement être
ignorant du monde de l’opéra.
MARS ONE
A peu
près tout le monde connaît ce projet fou portant le nom de code Mars One et
dont le but est d’aller coloniser la planète Mars. Le voyage vers cette
planète, prévu en 2025, sera sans retour et les candidats à cette incroyable
aventure sont déjà légion. Le thème de la colonisation d’une autre planète
est celui que soutient l’astrophysicien Stephen Hawking. Ce savant, que ses
pairs qualifient de génial, prédit en creux une inexorable extinction de la
race humaine faute de ressources suffisantes et d’empoisonnement de notre
atmosphère par nos propres déchets. Discours écologique certes, rêve
d’infini, assurément. La Damnation de Faust, opéra ? oratorio ? œuvre de
concert ? Ce qui est certain, c’est que Berlioz lui-même va biffer sur la
première page de sa partition la mention « opéra de concert » pour la
remplacer par « légende », une appellation terriblement ambigüe. D’autant
plus ambigüe que la segmentation de l’œuvre en quatre parties relativement
indépendantes, le véritable tripatouillage dramaturgique auquel s’est livré
le compositeur de la Symphonie fantastique, la présence dans cet ouvrage de
parties purement symphoniques, de danses, de scènes totalement autonomes, en
déstructurant le discours dramatique ouvrent la voie de tous les possibles
aux metteurs en scène. Pour le letton Alvis Hermanis (mise en scène et
décors), Faust est un savant poursuivant une quête, celle de la connaissance
infinie, et pourquoi pas, de la réponse suprême qui serait la rencontre avec
Dieu. Ce Faust moyenâgeux qui est à la source de son pendant goethéen, le
metteur en scène l’extrapole aujourd’hui dans la personnalité du
mathématicien Stephen Hawking, aujourd’hui âgé de 73 ans. Cloué sur un
fauteuil roulant depuis de nombreuses années, totalement paralysé, celui-ci
ne communique qu’au travers d’un écran et d’un rayon infra rouge qui capte
et traduit certains mouvements de son visage. Cet homme n’est aujourd’hui
qu’un pur et génialissime penseur. A l’instar de Faust, il est devenu un
mythe. C’est lui le véritable héros de cette production, qu’il se présente
sous les traits de Faust ou de Méphisto, il est quasiment omniprésent. Il
évolue dans un milieu de recherches médicales dans lequel les Hommes sont
devenus des cobayes.
A ce titre, les chorégraphies d’Alla Sigalova
sont impressionnantes de réalisme. Le haut de la scène est constamment
occupé, ou presque, par des projections signifiantes, dont certaines
proviennent directement de la NASA, d’autres de films comme Le Peuple des
océans ou Microcosmos. Et l’on ne peut que penser alors au Tristan et Isolde
mis ici même en scène par Peter Sellars et Bill Viola pour la vidéographie.
Avec son fort pouvoir émotionnel et esthétique mais aussi avec ses
contraintes, dont la moindre n’est pas une direction d’acteurs relativement
réduite et, surtout, le phagocytage du son par l’image. Mais le piège mortel
et rédhibitoire est certainement l’incohérence, assez courante dans ce type
d’extrapolation. Ce n’est pas le cas ici. D’une redoutable intelligence dans
la conduite dramatique, la mise en scène nous amène petit à petit vers un
dénouement stupéfiant qui, au passage, renoue avec le texte de Goethe et
plus particulièrement avec la rédemption de Faust. La course à l’abîme n’est
plus que l’ultime préparatif pour le décollage de la mission Mars One et
l’Apothéose finale voit les volontaires quitter leurs habits « terrestres »
pour revêtir les tenues de cosmonautes pendant que Faust, alias Stephen
Hawking, dans une forme de résurrection, se lève de son fauteuil. Scène
sublime d’émotion. Et de sens. « Mondes qui scintillez, vers vous s’élance
le désir… », l’Invocation de Faust prend ici toute sa signification cosmique
et justifie à elle seule la démarche. Exigeant certes, mais absolument
passionnant !
Une distribution historique
Et
tout d’abord, les phalanges de l’Opéra de Paris, ici dans leur arbre
généalogique. Sous la direction orchestrale de Philippe Jordan et chorale de
José Luis Basso, elles sont splendides de rondeur, de puissance, de
musicalité, de couleurs, de virtuosité aussi. Attentif aux respirations de
cette partition qui, en aucun cas, ne peut se diriger comme un opéra «
traditionnel », Philippe Jordan adopte des tempi larges aux dynamiques
nuancées, traquant derrière chaque note le climax de chacune des scènes, par
définition hétérogènes. Un travail d’orfèvre ! Le trio vocal principal est
tout simplement renversant. Voire historique.
Sophie Koch a le timbre
automnal idéal pour Marguerite, un phrasé parfait et une tessiture qui
couvre à la perfection l’ambitus requis. Comédienne accomplie, elle incarne
un personnage terriblement « vivant ». Le Méphisto de Bryn Terfel impose non
seulement avec aisance son baryton gigantesque dans la nef « Bastille »,
mais il le fait avec élégance, souci de la prosodie et de la musicalité. Et
puis, bien sûr, le héros de cette aventure cosmique, le Faust de Jonas
Kaufmann. Face à ce rôle qui réclame en fait deux chanteurs aux tessitures
différentes, un ténor central et un haute-contre (?), Jonas Kaufmann répond
par une technique hors pair lui permettant de phraser avec une incroyable
ampleur « Sans regrets j’ai quitté… », ou encore « Merci doux crépuscule… »,
de faire tonner la célèbre, et attendue, Invocation à la Nature, mais aussi
d’affronter avec aisance le célèbre duo « Ange adoré… » et ses terrifiantes
notes aigües. Et comment ne pas tomber à la renverse en l’entendant attaquer
triple piano le la bémol du « Que j’aime ce silence… ». Du grand art. Du
très grand art ! Est-il enfin utile de rappeler la puissance de projection
de cette voix, l’exceptionnel contrôle du souffle, la longueur de l’ambitus,
la science des couleurs. La planète lyrique le sait, Jonas Kaufmann est un
artiste exceptionnel à tous les sens du terme et il est scandaleux de ne pas
l’avoir vu programmé sur notre première scène nationale depuis des années.
Mais ce temps-là est, semble-t-il, révolu… Il serait injuste de ne pas
souligner enfin le très bon Brander d’Edwin Crossley-Mercer et l’incarnation
vertigineuse de Stephen Hawking par le danseur Dominique Mercy. Une
production qui montre bien toute la vivacité et la modernité de l’art
lyrique. Et qui reçut, lors d’une avant-première réservée aux moins de 28
ans, un colossal triomphe. Tout comme en ce vendredi 11 décembre.
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