Concert Classic
Pierre-René Serna
 
Berlioz: La damnation de Faust, Paris, Opera Bastille, 8. Dezember 2015
 
La Damnation de Faust à l’Opéra Bastille - Embrouillamini visuel
Les nouvelles productions lyriques à l’Opéra de Paris se suivent, mais ne se ressemblent guère. Du moins dans l’effet. Alors que Moses und Aron et le diptyque Château de Barbe-Bleue/Voix humaine constituent à maints égards des réussites, la toute neuve Damnation de Faust suscite des réactions plus que partagées. En raison surtout de sa mise en images, mais pas uniquement.

Puisqu’on ne saurait parler précisément de mise en scène. Il est vrai que La Damnation n’est pas un « opéra », mais une œuvre de concert comme chacun sait… L’habitude en est cependant venue, depuis Raoul Gunsbourg en 1893 à Monte-Carlo, de pourvoir la « Légende dramatique » de Berlioz d’une mise en scène. Avec des fortunes diverses. Tout dépend du talent de l’entremetteur ; qui peut se traduire soit par une illustration directe de la trame, soit par une évocation allusive de son message (comme naguère, avec succès, par La Fura dels Baus à Salzbourg).On pourrait croire que le choix d’Alvis Hermanis à la Bastille s’est porté sur la seconde option. Car ce que l’on voit n’a qu’un lointain rapport avec les déboires de Faust confronté à Méphisto dans son amour malheureux pour Margueritte. L’idée, soulignée par le programme de salle, est de faire appel à la figure Stephen Hawking, personnalité contemporaine bien réelle, sommité scientifique frappée de tétraplégie. Une idée comme une autre… marquée par la présence obsessive d’un comédien sur un fauteuil roulant, et le prétexte à un voyage interplanétaire à destination de Mars. Ça ou autre chose…

Il est néanmoins croustillant de noter que Vol retour, qui se déroule au même moment dans la salle voisine de l’Amphithéâtre, raconte lui aussi un voyage vers Mars, d’une autre manière - voir notre compte-rendu(1). Ce prétexte reste toutefois sur le papier, ou sur quelques prétentieuses projections de textes. Puisque ce qui est donné à voir s’apparente à une sorte de grande revue embrouillée, dans une chorégraphie plan-plan, avec une foule de figurants s’ébattant (presque nus, sans oser la nudité intégrale) de-ci de-là entre des vidéos en gros plan de rongeurs et autres colimaçons, et des cubes tout de verre. Allez comprendre ! Ce pourrait être beau, mais justement non ! Pour le reste, les acteurs de l’histoire sont abandonnés à eux-mêmes, bras ballants ou bras croisés, les solistes comme les choristes, eux alignés en rang d’oignons ou plantés comme des choux (puisque de botanique il est beaucoup question). Évacuons donc une mise en scène qui n’en est pas une.

Pour retrouver la musique, en sachant fermer les yeux puisqu’après tout il s’agit d’une œuvre de concert. La satisfaction sur ce plan n’est toutefois qu’en partie gratifiée. Jonas Kaufmann, la vedette que l’on venait voir, à défaut de réellement l’entendre, parvient à se hisser à la hauteur de sa réputation. Son Faust, quelque peu éteint de prime abord et d’une expression monocorde, trouve ensuite de beaux accents : sachant allier technique idoine (ses judicieux ports en voix de tête) et élans quand il faut. La voix fatigue cependant sur la fin, lors de ses ultimes récitatifs. Bryn Terfel, dont on attendait peu, réserve une excellente surprise : Méphistophélès d’une large projection, mais diversifiée, dans une élocution ferme. L’épisodique Brander d’Edwin Crossley-Mercer trouve lui aussi une participation adaptée.

Sophie Koch serait un autre cas. La chanteuse ne possède pas le phrasé délicatement douloureux de la Marguerite de Berlioz. Ses pousses de gosier intempestives dans les duo et trio de la fin de la troisième partie, heurtent ainsi de front les nuances bien négociées de son partenaire ténor. Sa Chanson du Roi de Thulé se retrouve débitée tout à trac, vibrée, sans l’expression rêveuse qu’il se devrait. Mais son air, le fameux et célébré « D’amour l’ardente flamme », rattrape une réelle présence, une flamme de circonstance, même si notre mezzo ne saurait sur ce terrain concurrencer d’illustres devancières. Ce n’est donc pas exactement l’erreur de
distribution que l’on aurait pu craindre.

Le chœur et l’orchestre suivent pour leur part un chemin progressif. Pour le premier, étale et parfois décalé (la fin de la deuxième partie, théoriquement pour deux chœurs opposés, ici réunis non forcément pour le meilleur), puis mieux précis, vif et emporté. L’orchestre s’attarde dans une dynamique uniforme (ce constant mezzo-forte que Berlioz fustige !), pour s’animer après l’entracte, entre quelques détails bien portés. On serait tenté de croire que la direction de Philippe Jordan prend un parcours similaire : monotone ou incertaine (la cadence de la Marche hongroise, avec son accelerando apocryphe, qui semble se plier aux mauvaises habitudes des instrumentistes), puis mieux cadrée, avec parfois des tenues incisives singulièrement bien pointées. Jordan s’essaye à un répertoire nouveau pour lui.
Alors qu’il entame ce cycle Berlioz prévu par Stéphane Lissner, destiné à se poursuivre au fil des saisons de l’Opéra de Paris (avec Béatrice et Bénédict, Benvenuto Cellini et enfin Les Troyens). Il en est ici encore au stade de la promesse. Mais déjà engageante.






 
 
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