Le Huffington Post, 11/12/2015
Olivier Bellamy
 
Berlioz: La damnation de Faust, Paris, Opera Bastille, 8. Dezember 2015
 
Faust, deux fois damné à l'Opéra Bastille
Cette Damnation de Faust de Berlioz qui s'annonçait comme l'un des musts de la première saison de Stéphane Lissner à l'Opéra de Paris s'est soldé par un drôle de baroufe dans la salle.

Comment ne pas entendre dans les huées en meute d'une moitié du public de l'Opéra Bastille contre le metteur en scène lituanien Alvis Hermanis, après la première représentation, comme le sombre écho d'un entre-deux-tours électoral ?

Pourtant ce public de première, lors d'une soirée de gala de l'AROP, semblait loin de la désespérance des cités et des laissés pour compte de la mondialisation. S'agissait-il de défendre l'ouvrage contre des apprentis sorciers ? Mais Berlioz lui-même s'était vu reprocher de s'être écarté de l'esprit de Goethe avec l'aide de Gérard de Nerval dans le livret. Donc ceux qui défendaient "notre" Berlioz contre l'envahisseur balkan, mardi soir, auraient fait partie de ceux qui auraient craché sur la modernité du compositeur français en son temps.

Le mythe de Faust est-il donc devenu à ce point intouchable que la moindre interprétation devient suspecte de trahison au point de déclencher une fatwa ? Ou que ceux qui hurlent avec les loups en savent aussi peu sur les mythes que les casseurs de Palmyre sur la mystique.

Pourtant l'idée du metteur en scène de prêter au savant Faust le génie et le fauteuil roulant du physicien cosmologiste britannique Stephen Hawking (atteint de la maladie de Charcot) est passionnante. Ainsi Faust était incarné à la fois par le ténor Jonas Kaufmann et le danseur Dominique Mercy (éblouissant tableau final). Cela entraîne l'œuvre vers une réflexion philosophique autour du progrès, de l'espace, de l'écologie ("Nature immense, impénétrable et fière"), de l'éthique. Brillante extrapolation et non dérive gratuite ou provocatrice. Certes la scénographie ne manquait pas de naïveté avec une chorégraphie de figurants entre Rencontres du troisième type et La Vie des bêtes... Mais le dispositif vidéo de Katrina Neiburga n'avait rien de scandaleux, de choquant, et offrait une poétique forte à la mise en scène. Bryn Terfel en Méphisto et Sophie Koch en Marguerite n'ont pas démérité (quelle affiche !) même si la direction d'acteur n'est pas la spécialité du metteur en scène. Quant aux pianissimi aigus de Jonas Kaufmann, ils ont soulevé la salle à juste titre même si l'on distinguait bien un mélange hybride de trois voix distinctes dans un gosier en or.

Ces héros ont été célébrés comme il se doit, tout comme Philippe Jordan, le Chœur et l'Orchestre de l'Opéra, mais les imprécations haineuses qui ont accueilli le metteur en scène et son équipe faisaient froid dans le dos. A la fureur disproportionnée s'est ajoutée l'inculture navrante quand Dominique Mercy, l'inoubliable interprète et assistant de Pina Bausch, s'est vu lui aussi recouvrir du flot de l'infamie.






 
 
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