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Classic Toulouse, 14 juillet 2015 |
Robert Pénavayre |
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Bizét: Carmen, Chorégies d'Orange, 8. Juli 2015
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Jonas Kaufmann ou la brûlure de la perfection
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Alors que la première représentation du chef d’œuvre de Bizet, le 8 juillet,
avait eu l’accompagnement bien involontaire d’un mistral glacial, le
spectacle critiqué ici a bénéficié d’un temps idéal pour ce festival de
plein air. L’amphithéâtre, plus que convenablement rempli, a donc pu
profiter pleinement d’artistes au sommet de leur talent, même si, au milieu
de ces derniers, le ténor Jonas Kaufmann créait un certain déséquilibre…
Le rideau s’ouvre, si l’on peut dire, sur un amoncellement de
gigantesques cartes à jouer dispersées sur cette immense scène. Au centre du
dispositif scénique imaginé par Louis Désiré, également metteur en scène et
costumier, deux cartes sont retournées : la Dame de cœur et l’As de pique.
Le destin est donc d’entrée de jeu révélé. Il ne reste plus à l’inexorable
course à l’abîme, que représente le livret de cet opéra, qu’à se dérouler
avec sa sensualité, ses cris, ses larmes et sa sanguinaire catastrophe. Si
les costumes féminins en forme de chasuble ne sont pas des plus seyants, la
direction d’acteur est relativement précise et cerne bien les tempéraments
opposés des deux protagonistes. Les beaux éclairages de Patrick Méeüs
achèvent de donner une belle patine à cette production.
Quand
le public s’en prend au chef d’orchestre !
Il est rarissime
qu’un public d’opéra conspue le chef d’orchestre, toute son attention étant
dirigée plutôt vers le plateau. Eh bien, en ce samedi, Mikko Franck a dû se
demander ce qu’il lui arrivait lorsqu’il s’est vu accueilli à son retour en
seconde partie du spectacle par une véritable bronca ! Que penser d’une
telle réaction ? En tout état de cause, ce n’était pas le magnifique
Orchestre Philharmonique de Radio France qui était dans le viseur, pas plus
que ses somptueux solistes qui nous ont donné à entendre des moments
musicaux de grâce pure. Alors ? Peut-être convient-il de chercher la raison
de ce mouvement d’humeur dans les tempi adoptés ici, tempi parfois d’une
lenteur angoissante pour le souffle des chanteurs, tempi qui font apparaître
des pages comme par exemple le duo José/Micaëla d’une longueur interminable.
Et puis il y a ce manque de chair, de couleurs, de drame dans une partition
qui en regorge. La contrepartie de cette approche quasiment chambriste est
la révélation de thèmes, de phrases, de sonorités que les options
telluriques effacent fatalement. En tout état de cause cette « réception »
était largement disproportionnée. Des applaudissements « discrets » auraient
largement suffit à faire comprendre au maestro finlandais le décalage entre
l’attente du public et sa conception de l’ouvrage. Ajoutons que Mikko Franck
est le futur Directeur musical de cet orchestre. Ce qui n’est pas rien !
Bref.
Jonas Kaufmann, déjà une légende vivante
Comment remercier Raymond Duffaut d’avoir offert au plus large public,
celui des Chorégies, un artiste tel que Jonas Kaufmann ? Je dis bien un
artiste et non pas un chanteur car le Don José qui fait pâmer la planète
entière depuis une dizaine d’années est bien plus qu’un chanteur. Le silence
religieux qui accompagnait l’air de la fleur en dit long sur le charme et le
pouvoir de cette voix, une voix dans laquelle chaque dynamique est calculée,
pensée, opportune, subtile, sensée. Alors, bien sûr, il faut une fabuleuse
maîtrise pour passer du quadruple piano au fortissimo. C’est justement toute
la différence entre Jonas Kaufmann et ses collègues ténorisants actuels :
une technique d’enfer qui lui permet d’être aussi crédible dans Siegmund et
Parsifal que dans Don José et Des Grieux. Une projection impérieuse et des
demi-teintes aussi aériennes que parfaitement timbrées, un phrasé impérial,
une prosodie française au-dessus de tout soupçon, un respect absolu du style
et ce timbre ruisselant de lumière sans oublier un artiste formidablement
engagé dans ses rôles achèvent de parfaire le portrait idéal de ce que l’on
aimerait voir plus souvent sur les planches lyriques.
Mais si cela
était, Jonas Kaufmann ne serait plus unique, or il l’est ! A vrai dire, il
est difficile d’exister à ses côtés. C’est pourtant ce qu’essaie de faire
une distribution bien plus qu’honnête. Il en est ainsi de la cigarière de
Kate Aldrich. Cette mezzo (?) américaine balade sa Carmen dans le monde
entier (Vancouver, Zurich, Séoul, Moscou, San Francisco, Munich, Berlin, New
York, Vérone, etc.). Dotée d’une voix qui s’apparente davantage à celle d’un
Falcon, Kate Aldrich, et dans ce lieu gigantesque, peine à faire passer son
médium. Certes, la musicienne est raffinée, ses aigus ronds et puissants
envahissent aisément l’amphithéâtre, mais, pour exemple, la scène des cartes
la pousse dans des retranchements rédhibitoires. Inva Mula, une habituée des
Chorégies, a fait sien le rôle de Micaëla. Elle le détaille toujours avec
autant d’émotion et de sensibilité musicale.
Nouveau venu in loco,
Kyle Ketelsen impose un Escamillo flambant vocalement. Dommage alors d’avoir
coupé son duo du 3ème acte avec Don José ! Et bien sûr des seconds rôles au
cordeau : Hélène Guilmette (Frasquita), Marie Karall (Mercédès), Jean
Teitgen (Zuniga), Armando Noguera (Moralès), Olivier Grand (Le Dancaire) et
Florian Laconi (Le Remendado). Soulignons à présent l’exemplaire
participation des chœurs d’Angers-Nantes Opéra, de l’Opéra Grand Avignon, de
l’Opéra de Nice ainsi que de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône. Une bien
belle soirée en définitive.
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