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GB Opera |
Jocelyne De Nicola |
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Bizét: Carmen, Chorégies d'Orange, Juli 2015
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Orange, Chorégies 2015: “Carmen”
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Carmen est en Provence, un des opéras les plus attendus. Située près des
arènes d’Arles ou de Nîmes, la ville d’Orange, attire souvent les
aficionados en mal de corridas lors d’une programmation de cet opéra dans
son immense Théâtre Antique. Oui, Carmen, l’un des opéras les plus joués
dans le monde, est certainement l’opéra français le plus souvent représenté.
Pourtant, le succès ne fut pas au rendez-vous lors de sa création à
l’Opéra-comique en mars 1875 ; c’est pratiquement un désastre, dû peut-être
à une interprétation médiocre. Georges Bizet avait pourtant fait appel aux
librettistes Ludovic Halévy et Henri Meilhac alors très en vogue pour
adapter la nouvelle de Prosper Mérimée, mais le public et la critique, peu
tendres avec le compositeur condamnèrent l’ouvrage au nom de la morale. Ce
chef d’oeuvre sera pourtant reconnu comme tel et joué dans le monde entier
très peu de temps après sa création. Malheureusement, très affecté par le
peu de succès de son opéra, Georges Bizet décèdera trois mois après la
première représentation, à l’âge de 36 ans, au moment même, dit-on, où les
cartes de la mort étaient tirées sur scène par Carmen, sans avoir le plaisir
de connaître le succès mondial que rencontrera cet ouvrage. Comment osait-on
mettre en scène cette femme libre, dans ce milieu populaire, avec une
musique aussi colorée, si proche toutefois de la réalité mais si éloignée de
la mentalité bourgeoise de l’époque ? Dans la proposition qui nous était
faite ce soir, le metteur en scène Louis Désiré, qui concevait aussi les
décors et les costumes, a voulu nous raconter l’histoire d’une femme face à
son destin. Son destin est-il Don José, était-il déjà fixé avant ? Toujours
est-il que c’est ici l’élément principal représenté par les cartes
omniprésentes qui viendront sceller la destinée d’une Carmen qui l’accepte
sans vraiment essayer d’y échapper. Mais tout ceci est déjà noté dans
l’ouvrage et Louis Désiré dans un grand respect de l’oeuvre et des
personnages n’a pas changé ce drame d’un iota. Dans un souci de recherche
dramatique, sans pathos ni ” flonflon ” il a gommé tout folklore prononcé,
toute image qui pourrait détourner le spectateur de la seule chose vraiment
importante, la conduite inexorable de Carmen vers sa mort. Pourtant, sa
rencontre avec Escamillo pouvait laisser espérer qu’elle allait trouver,
avec cet homme qui représente la force et la vie, la voie qui allait la
libérer de ce maléfice. Le metteur en scène qui avoue connaître cet ouvrage
depuis sa jeunesse et l’aimer jusqu’à l’obsession nous raconte visuellement
sa Carmen et sa perception de l’ouvrage. Le parti pris de costumes assez
sombres où le noir domine loin des robes colorées des sévillanes, met
l’accent sur le drame qui se joue là, non sur un coup de dès, mais dans un
jeu de cartes. C’est bien imaginé, bien rendu surtout, avec sobriété et bon
goût. Mais d’abord, il faut adhérer a ce propos. Il faut accepter ne voir
dans cet ouvrage que le drame, certes sombre, que Carmen vit avec tout de
même un certain détachement : c’est ainsi, c’est tout, pourquoi tergiverser
? On n’échappe pas à sa destinée. Micaëla et Don José le savent aussi ; dès
le premier regard la fin est annoncée. Seul Escamillo ne l’a pas compris, il
enveloppe Carmen de sa cape couleur de lumière pour l’emmener au loin avec
lui, mais non, Don José veille, la lui enlève dans un geste symbolique et la
tue, alors vêtue de noir, et la laisse étendue sur cette carte de pique
tirée maintes fois. Le propos est fort, puissant, et ceux qui ont assisté au
spectacle joué sur cette immense scène, même s’ils n’ont pas aimé cette
proposition, ne pourront jamais échapper à cette vision de Carmen étendue
là, Don José à son côté, éclairés par une seule lumière blanche. Non, ce
n’est pas la foule des corridas, ce n’est pas la lumière crue de l’Espagne,
c’est la mort de Carmen…une femme. Le propos étant énoncé, le reste suit
avec une utilisation intelligente de la scène. Mais avec quels décors ? eh
bien avec rien. De longues piques ( celles des picadores ? ) délimitent
l’espace, la prison, la taverne de Lillas Pastias. Les contrebandiers sont
là aussi et peu importe si l’on ne voit pas la montagne. Les éclairages de
Patrick Méeüs vont à l’essentiel mais donnent exactement, comme pour la
Tosca jouée à Marseille il y a peu dans une mise en scène également de Louis
Désiré, l’atmosphère qui convient à chaque scène. Quelques touches de
lumières pourtant dans les costumes, avec les vestes des carabiniers jetées
à l’envers sur le sol, faisant ressortir la couleur jaune, allusion à leur
surnom de canaris, ou un défilé de toréadors dans leurs habits de lumière
authentiques. le seul point qui nous semble affadir le propos et
l’interprétation de la partie orchestrale donnée par le chef d’orchestre
Mikko Franck. Pourquoi des tempi aussi lents, des nuances aussi plates, un
manque de couleurs aussi évident ? Il nous semble au contraire que la
musique aurait pu, elle, donner en contraste des lumières, des éclairs
fugaces de vie, de joie ou d’amour. Mikko Franck est-il passé à côté de la
musique de Bizet ? Les sonorités sont belles, rondes, et les rythmes sont
là, mais atténués, jusque dans l’interprétation de l’intermezzo qui semble
avoir perdu tout caractère.
On attendait avec impatience d’entendre
Jonas Kaufmann dans le rôle de Don José, rôle dans lequel nous l’avions
applaudi à la Scala de Milan il y a quelques années dans une autre mise en
scène. Il nous paraît adhérer tout à fait au propos de Louis Désiré,
réagissant à la belle Carmen sans une passion débordante mais comme si la
fin était déjà connue de lui. Il campe un Don José assez ambigu, très viril
par moments, assez timoré à d’autres, comme dépassé par une situation qu’il
ne maîtrise pas. Mais ce Don José marquera tout de même les esprits,
peut-être justement à cause de ses multiples facettes. Vocalement aussi
Jonas Kaufmann intellectualise son personnage. S’il a arrêté de jouer avec
ces notes prises si piano qu’elles paraissaient détimbrées, son chant a
gagné en homogénéité, donnant au phrasé plus de legato, avec une ligne de
chant plus continue. L’Air ” La fleur que tu m’avais jetée ” chanté avec
sensibilité est un modèle du genre. Les piani sont plus expressifs et lui
permettent d’atteindre des aigus puissants sans aucune rupture de souffle.
S’il manque parfois de puissance dans le medium, il fait preuve d’une grande
sensibilité dans un Duo avec Micaëla, touchant dans sa simplicité, ou de
sensualité avec Carmen, mais toujours avec une certaine réserve. Paraissant
plus emprunté devant des sentiments qui le dépassent, il est nettement plus
à l’aise dans la colère où il se laisse aller pour nous donner à entendre
des aigus somptueux. Sa voix barytonante donne un certain poids, du
caractère même au personnage, et ce n’est pas pour déplaire bien au
contraire. Face à ce Don José qui va changer le cours de sa vie, Kate
Aldrich joue la carte de la destinée aussi. Et si… et si…Peut-être ? Elle
est cette Carmen par qui tout arrive. Interprétant ce rôle coloré sans jouer
sur les extrêmes, physiquement elle est Carmen. Cette mezzo américaine,
applaudie à Marseille. Dans le rôle de Sesto ( La clemenza di Tito ) de
Mozart en 2013, et à Toulon dans Anna Bolena en 2014, aborde ici dans ce
vaste Théâtre Antique un rôle de poids. Elle adhère à ce personnage qui ne
se révolte pas devant sa destinée et l’on comprend tout à fait que Don José
soit fasciné. Sans surjouer le rôle de la femme fatale, elle est cette fille
libre qui veut vivre à son gré. Nous retrouvons le timbre sombre de sa voix
avec de beaux graves, une voix homogène et bien placée qui sonne
naturellement avec des aigus puissants et faciles. Si son jeu est un peu
maniéré dans la séduction, elle est, elle aussi, bien mieux dans les moments
de colère ; une colère qui finalement libère les gestes et la voix. Son
excellente diction lui permet des nuances faites en toute liberté et qui
font oublier un medium un peu faible. De ses incursions chez Mozart, elle a
gardé l’aisance des vocalises qui donnent ici de la souplesse au phrasé. Le
baryton-basse américain Kyle Ketersen est Escamillo, le troisième personnage
de ce trio dramatique. Ce toréador sûr de lui interprète ce rôle avec ce
je-ne-sais-quoi de suffisance qui frise la vulgarité, enlevant le côté
altier du personnage. Mais sans doute est-il lui aussi en adéquation avec
cet homme qui est dans la vie, affrontant les dangers avec désinvolture et
sans trop se poser de questions. Il n’est absolument pas dans la
représentation, il est, tout simplement. Il a certes une voix attractive
pour ce rôle, avec des aigus puissants et sonores qui font oublier des
graves un peu étouffés. C’est un Escamillo jeune et bouillant d’énergie,
loin du personnage souvent représenté, mais à sa place dans cette version où
il est le seul élément qui semble échapper à ce drame. Très applaudi dans le
rôle de Leporello au Festival d-Aix en-Provence, il avait déjà ce jeu
scénique qui semble propre à son caractère. Inva Mula est une Micaëla très
applaudie. Blonde menue, elle est sans doute cette jeune fille timide et
courageuse que l’on retrouve dans toutes les versions de Carmen. Si la voix
est moins juvénile, délicate et mutine elle chante avec sensibilité et fait
ressortir chaque facette du personnage tout en gardant un phrasé et un
legato sans reproches avec des aigus sonores ou des tenues piano colorées.
Seul élément de tendresse dans cet opéra, le Duo Micaëla / Don José, chanté
dans une esthétique musicale commune, sera très apprécié. Si Hélène
Guilmette est une Frasquitta dont la voix claire et percutante donne du
piquant au personnage, La Mercédès de Marie Karall, dont le timbre de mezzo
est sombre et sonore, manque toutefois de la projection nécessaire à ce lieu
pour donner du relief au personnage. Le rôle de Zuniga est ici chanté par
Jean Teitgen. Rien, pas même le mistral ne peut dévier cette voix de basse,
sonore et percutante. Aussi bien scéniquement que vocalement, il est à la
hauteur des autres interprètes, campant un officier tout à fait crédible.
Moralès, Armando Noguera, Le Dancaïre Olivier Grand, et Le Remendado Florian
Laconi, déjà applaudis plusieurs fois dans des rôles plus importants,
donnent ici toute leur dimension à des rôles plus secondaires mais pourtant
remarqués. La Maîtrise des Bouches-du-Rhône, autant vocalement que
scéniquement, fais preuve d’un grand investissement. Les choeurs des Opéras
d’Angers- Nantes, de Nice et du Grand Avignon, ont fait preuve d’un grand
professionnalisme et de grandes qualités musicales malgré une mise en scène
un peu déroutante. Malgré le fort mistral, ce vent hélas souvent en
résidence à Orange et dommageable pour la perception des voix, nous avons
assisté à un spectacle qui demanderait à être revu en oubliant les autres
références, pour apprécier pleinement ces chanteurs de grande qualité qui
ont su montrer une facette plus intime de leur personnage dans la version
proposée par Louis Désiré peut-être inspirée par une filmographie en noir et
blanc. Une soirée controversée, mais d’une grande portée dramatique.
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