|
|
|
|
|
Le Figaro 9/7/15 |
Par Christian Merlin |
|
Bizét: Carmen, Chorégies d'Orange, 8. Juli 2015
|
|
A Orange, Jonas Kaufmann éclipse Carmen
|
|
Le ténor allemand donne une interprétation si mémorable de Don José
que les autres protagonistes sont à la peine.
Dans une
compétition sportive, on dit d'un champion qu'il tue le match lorsque sa
supériorité est trop flagrante. Le suspense est alors nul, c'est frustrant
mais on a au moins tout loisir pour l'admirer dans ses œuvres… La
comparaison avec une représentation d'opéra n'est guère pertinente car il ne
devrait pas y être question de concurrence, chaque maillon de la chaîne
œuvrant pour la réussite du spectacle. Mais que voulez-vous! Quand on
affiche dans une distribution un extraterrestre comme Jonas Kaufmann, on en
arrive alors à se demander pourquoi Bizet a intitulé son opéra Carmen et non
Don José !
Débuts scéniques à Orange
C'est ce à quoi l'on
assiste dans le nouveau Carmen qui vient d'ouvrir les Chorégies d'Orange
2015. On voudrait utiliser toute la place qui nous est dévolue pour ne vous
parler que du ténor allemand, si l'on ne craignait de se répéter. Pour ses
débuts scéniques à Orange (il n'y avait participé qu'à un Requiem de Mozart
en 2006), il ne tremble pas devant le plein air, malgré un mistral qui avait
eu la fâcheuse idée de se lever le jour de la première après des semaines
sans un souffle. À quoi bon vous reparler de son timbre mat comme le bronze
et chaud comme le velours, de son français plus immaculé qu'avec bien des
francophones, de sa ligne de chant sur le souffle, de sa capacité à varier
les couleurs de la voix en fonction du texte? Il suffira d'évoquer les
frissons qui ont parcouru le Théâtre antique lorsqu'il a osé (à vrai dire,
on l'espérait tellement…) émettre piano le si bémol final de l'air de la
fleur, à mi-voix, comme il est écrit et comme si peu font. Quand on
affiche dans une distribution un extraterrestre comme Jonas Kaufmann, on en
arrive alors à se demander pourquoi Bizet a intitulé son opéra «Carmen» et
non «Don José» !
Dans cet opéra plus riche en ensembles qu'en solos,
il est malheureusement privé de réplique. Non que la Carmen de Kate Aldrich
manque de qualités. Elle a la beauté, la classe, la voix semble homogène et
bien conduite: seulement voilà, à Orange, on ne l'entend tout simplement
pas. Inva Mula est une Micaëla mièvre et conventionnelle, dans un français
inintelligible, Kyle Ketelsen un Escamillo bien pâlichon, au contraire de
seconds rôles remarquablement distribués. On détourne alors l'attention vers
les nouveaux prodiges du chef Mikko Franck, d'une aisance insolente dans ce
lieu qui l'inspire: avec des tempi jamais précipités, il gomme toute
tentation de facilité pour exalter l'incroyable raffinement de cette musique
si savante. Il s'appuie pour cela sur un Orchestre philharmonique de Radio
France très en beauté, d'où la flûte immatérielle de Magali Mosnier et le
basson magnétique de Jean-François Duquesnoy émergent dans la nuit
provençale, irrésistibles.
Décor de cartes à jouer géantes
Décorateur et costumier plus que metteur en scène, Louis Désiré règle un
spectacle plastiquement très beau et nettement plus intelligent que la
moyenne: pour une fois, se disait-on. Dans un décor de cartes à jouer
géantes, qui scellent le destin de Carmen, il insiste d'emblée sur le
caractère tragique de cet opéra qui n'a rien, mais alors rien de guilleret.
La direction d'acteurs reste sommaire, mais plusieurs idées originales et
suggestives, notamment dans les pantomimes illustrant les interludes
symphoniques, permettent d'échapper au kitsch et à l'anecdotique au profit
d'une élégance bienfaisante. Seulement voilà: le public d'Orange, qui
espérait sans doute espagnolades et cavalcades, a puni le metteur en scène
de l'avoir ainsi privé de ses images d'Épinal. Va-t-on encore conclure au
divorce entre le public et la critique?
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|