Concert Classic
François Lesueur
 
Schubert: Winterreise, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 8. April 2014
 
Jonas Kaufmann chante Die Winterreise – Extase schubertienne
Avant de livrer au public leur interprétation du Winterreise, Jonas Kaufmann et son pianiste-mentor Helmut Deutsch ont d'abord élaboré leur version dans le calme des studios (l'enregistrement est paru récemment chez Sony). Juste après Londres et avant Moscou puis Milan, le duo s'est arrêté à Paris pour le plus grand plaisir des mélomanes, réunis au TCE comme pour assister à une messe. Aucune trace de combat, de violence ou d'hallucination dans ce voyage-ci, mais la mise à nu d'une âme, celle d'un jeune amoureux romantique éconduit par sa bien-aimée, qui décide sans plus tarder de prendre la route, dévasté, pour une expérience dont il ne connaît pas l'issue.

Le retour à la tessiture originelle de ténor, tentée avant Kaufmann par Peter Anders il y longtemps, puis par l'étonnant Vickers (avec Parsons, EMI) et après tant d'essais pas toujours concluants (mezzo, baryton jusqu'au soprano de Jessye Normann) est une réelle satisfaction. La voix au troublant clair-obscur du chanteur allemand trouve, dès le « Gute Nacht » introductif, son juste foyer vocal et se joue des harmonies par un impressionnant jeu de couleurs, renforcé par la souplesse et le naturel de la déclamation. Comme Werther, son Wanderer est un impulsif, un idéaliste tendre et fragile qui agit dans la précipitation sans songer aux conséquences de ses actes. Il débute son récit sans pathos, confiant, se croyant à l'abri des intempéries, soutenu par la présence rassurante de la Nature et des éléments contre lesquels il va devoir bientôt lutter. Discipliné au point de faire oublier l'effort, ou la contrainte technique, Jonas Kaufmann décrit avec la plus grande précision et une diction souveraine, les états d'âme successifs de ce marcheur solitaire, plongé dans les affres de l'introspection, passant d'une mélodie à l'autre avec une brûlante intensité.

Tantôt barytonnant (« Rast »), tantôt allégé (« Frühlingstraum »), l'instrument mobile, malléable, posé sur un souffle infini, sculpte les vers évocateurs de Wilhelm Müller et associe chaque nuance à la musique âpre et obsédante de Schubert. Les larmes, le vent, la fatigue, jusqu'aux pas sur la neige dépeints avec une nudité brute et douloureuse, saisissent à mesure que ce voyage – réel ou fantasmé ? – progresse. Pourtant, sans crier gare, la tension dramatique se glisse insidieusement et gagne inexorablement le récit ; le Wanderer de Kaufmann erre bientôt sans relâche, à bout de force (« Das Wirsthaus »), la neige lui mordant le visage (« Mut »), avant de terminer sa course pétrifiée par les sons lointains d’un joueur de vielle, un vieillard symbole de mort qu'il s'apprête à suivre... Dans un dénuement total, la voix de l'interprète désormais désincarnée, parvient à nos oreilles comme si elle ne lui appartenait plus, tandis qu'au piano quelques notes funèbres et somnambuliques sont égrenées mécaniquement. Hypnotisés, les auditeurs retiennent un moment leur respiration, avant de revenir à la réalité et d'applaudir enfin ce duo magistral.










 
 
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