Le Monde, 15.03.2014
Par Marie-Aude Roux (à New York, Etats-Unis)
 
Massenet: Werther, Metropolitan Opera, Februar/März 2014
 
Le « Werther » de Massenet, du MET aux salles de cinéma françaises
On n'avait rien oublié du couple superlatif formé par Sophie Koch (Charlotte) et Jonas Kaufmann (Werther) dans la belle mise en scène du Werther, de Massenet, par le cinéaste Benoît Jacquot à l'Opéra Bastille début 2010 (DVD paru chez Decca). La reprise de la production parisienne cette saison, avec Roberto Alagna et Karine Deshayes, avait rendu la magie scénique intacte malgré des incarnations qui, pour n'être pas sans mérite, ne parvenaient pas à la hauteur de cette alchimie parfaite.

Retrouver Koch et Kaufmann dans une nouvelle production du Metropolitan Opera avait donc tout de la gageure. Quatre ans de plus dans la voix d'un chanteur comme dans la vie d'un sportif de haut niveau n'a rien d'anodin.

MAIS ALORS QUEL TALENT !

Et Sophie Koch, qui a chanté ces dernières années de nombreuses productions wagnériennes, où elle excelle, semble avoir perdu en fraîcheur et volubilité ce qu'elle a gagné en amplitude et en projection. Sa Sophie ne prend fait et cause pour la musique qu'au troisième acte des violences et des larmes, dans la conscience douloureuse de son amour pour Werther, mais alors quel talent !

Les quatre ans de plus pour Jonas Kaufmann n'ont fait par contre que raffiner et patiner un matériau vocal et interprétatif qui déjà faisait merveille.

Des aigus solaires, des demi-teintes crépusculaires, des pianissimi amoureusement modulés au bord de la rupture. Et quelle prosodie française, toujours châtiée et bien sonnante! A cela près qu'un léger reproche point. A être si subtilement contrôlée, si délicatement ourlée, la ligne de chant perd de sa spontanéité, frôlant même parfois une préciosité, voire un maniérisme, à laquelle la musique de Massenet n'invite pas.

Rien à reprocher à David Bizic (Albert sanguin et puissant), encore moins à la Sophie de Lisette Oropesa, au ramage aussi joli que son plumage d'oiseau sur la branche (très joli timbre et musicalité fine).

Les seconds rôles sont par contre curieusement négligés : le Balli de Jonathan Summers a dépassé la date de péremption. Attendu à la tête de l'Orchestre du Metropolitan Opera, le chef d'orchestre français, Alain Altinoglu, a paru un brin compassé dans les premiers tableaux, tendant parfois lui aussi à un maniérisme qu'on ne lui savait pas, mais il s'est affirmé avec puissance et générosité dès le début du troisième acte pour s'accomplir pleinement dans un dernier acte donné sur le fil de l'émotion.

OUBLIÉE L'ELLIPSE, VIVE LE STABILO !

En transposant l'action du XVIIIe goethéen aux confins de la Belle Epoque (contemporaine de Massenet), le metteur en scène britannique, Richard Eyre, a troqué le roman d'apprentissage pour un romantisme noir digne d'un livre des sœurs Brontë. Impossible de croire à l'innocence arcadienne d'une Charlotte attifée comme une gravure de L'Art et la Mode. Plus. Là où Benoît Jacquot suggérait avec bonheur, nous voici en pleine traduction littérale : oubliée l'ellipse, vive le Stabilo !

Ainsi l'ouverture, qui mime scéniquement le malaise de la mère en pleine réunion de famille, le port du cercueil puis l'enterrement, enfin la tombe dans le jardin. Sans parler du dernier acte, où le caisson de la chambre du suicide de Werther, détaché du décor, avance au proscenium, rappelant curieusement la scénographie de Benoît Jacquot. On dira que les bonnes idées appartiennent à tout le monde…







 
 
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