Altamusica, 02/03/2013
Yannick MILLON
 
Wagner: Parsifal, Metropolitan Opera, 2. März 2013
 
Commentaire cinéma : Parsifal au Met
Fréquemment épinglé à juste titre pour le conservatisme de ses mises en scène, le Metropolitan Opera de New York fait en revanche presque toujours l’unanimité concernant ses distributions, laissant loin derrière lui le meilleur de la concurrence mondiale. Nouvelle preuve avec ce Parsifal affichant un plateau masculin absolument hors d’atteinte.

Les retransmissions live de spectacles du Met en haute-définition dans le réseau de cinémas Gaumont Pathé connaissent un succès grandissant, au point qu’un titre comme Parsifal, peu attirant a priori pour le grand public, fasse quasiment salle pleine ce samedi soir, la jauge ne diminuant en rien au fil des quatre heures trente de représentation.

La formule a en effet de quoi séduire, avec son prix attractif, le confort de ses fauteuils, sa visibilité forcément optimale, et même si elle ne remplacera jamais la magie de la vie théâtrale in loco, elle permet aux lyricophiles de s’économiser une traversée de l’Atlantique pour assister aux plus grands événements de la saison du Met.

La qualité sonore des retransmissions pour les salles obscures, prétendument dopée aux amphétamines, a souvent été décriée. Pour cette première expérience, on s’attendait donc à en prendre plein les oreilles, avec un son brillantissime, aux basses boostées et aux aigus éclatants.

Il n’en est rien, et l’on s’étonne même du caractère couvert du son, gonflé dans les médiums, aux extrémités écrêtées, avec un sentiment de ronron façon radio, compression des nuances y compris. Pour ce qui est de l’image, on imaginait aussi quelque chose de différent, de plus extraordinaire, plus riche en contrastes, avec moins de fourmillement et de traînées sur les déplacements rapides.

L’avant-spectacle et les entractes, selon une formule de com’ ultra enthousiaste à l’américaine (sans sous-titrage), permettent, afin de meubler les comptes à rebours, d’assister de l’intérieur aux changements de décors, et à quelques interviews très consensuelles des artistes à peine sortis de scène, tout transpirants et l’air ailleurs.

Quant à la représentation elle-même, elle offre l’un des meilleurs témoignages de l’exemplarité all stars des distributions du Met, sans concurrence actuellement dans le monde lyrique. Car hormis la Kundry de Katarina Dalayman, froide comme la glace, cantonnée à produire du son indifférent et des attaques douteuses, et à l’occasion peu scrupuleuse sur les hauteurs écrites, le plateau masculin est à se damner.

Tellement plus évident que son Amfortas trop cuivré et monolithique pour Gergiev, jusqu’à y maîtriser l’allemand avec une déclamation ô combien plus adaptée, le Klingsor d’Evgeny Nikitin a toute la morgue, la frustration du magicien noir dans le timbre, et un mordant royal.

Lui aussi le jour et la nuit par rapport à l’enregistrement live de Gergiev, René Pape trouve une sérénité, une autorité jamais forcée et des nuances qui font la richesse de ce Gurnemanz superbement en voix, aux aigus somptueux, chez qui l’on peut percevoir autant le bon sens buté que la faille intérieure du vieil ermite désabusé – un Enchantement du Vendredi saint de toute beauté.

Et si l’on a souvent déploré bien des choses dans le timbre et l’émission de Jonas Kaufmann sinon dans son art vocal – tassement du larynx, d’écrasement de l’émission façon baryton poussé –, il est ce soir d’une évidence de chaque instant. Son Parsifal sonne incomparablement mieux que son Lohengrin de Bayreuth, vocalement beaucoup trop mûr, qui donnait l’impression, les yeux fermés, d’avoir la voix du grand-père d’Elsa.

Sans doute pour conférer une jeunesse absente, une virginité de civilisation à son chaste fol, il ose enfin les sons clairs qu’on avait toujours rêvés dans cette voix phénoménale, capable des nuances les plus extrêmes, et toujours d’un poids du texte, d’une qualité de germanité dans les appuis et d’un sens du mot somptueux – les appels à Amfortas, crucifiants de douleur, de vérité dramatique, le monologue final, inouï.

Mais on gardera de cette soirée avant tout le souvenir d’un Amfortas digne de la légende des Hotter et Fischer-Dieskau, parmi les rares dans cet emploi doloriste où il est si facile de rugir de manière monolithique à avoir proposé du vrai chant, en la personne de Peter Mattei, dont le vibrato serré, la note qui semble vivre avant même le début du son, l’attention constante à faire chanter la phrase de manière élégiaque servent un roi bouleversant d’humanité, et au matériau jamais trop mince.

Plus proche des extases infinies de sa prestation de Bayreuth que du resserrement des tempi de son passage à Zurich, Daniele Gatti, à la tête de chœurs solides et d’un Orchestre du Met trapu mais ne trouvant jamais une authentique sonorité germanique, avec entre autres de vilains violons, offre toujours le même mélange de transitions infinies, de ferveur romaine et d’alanguissements.

Quant à la mise en scène écolo de François Girard, elle supporte plus que bien le gros plan, notamment dans un troisième acte où le vieillissement généralisé est beaucoup plus visible qu’en salle à Lyon, et reste un bon exemple de Parsifal raisonnablement contemporain, sans provocations ni routine, cette fois très correctement dirigé (les souffrances d’Amfortas), le plus souvent en parfaite intelligence avec la musique. Les superbes décors de Michael Levine et les vidéos, notamment, passent admirablement à l’écran. Vivement le DVD !






 
 
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