La Libre, 30 août 2013
Jongen François
 
Verdi: Don Carlo, Salzburger Festspiele, August 2013
 
Pappano règne sur "Don Carlo"
Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Salzbourg

Un coup pour Wagner, un coup pour Verdi ! En alternance avec les "Maîtres-chanteurs de Nuremberg", le Grosses Festspielhaus de Salzbourg propose un tout aussi monumental "Don Carlo". Avec une mise en scène sans doute moins novatrice, mais avec une distribution de rêve. Evidemment, les puristes peuvent toujours mégoter. Jonas Kaufmann n’a pas toute l’italianité du brûlant Infant ? Oui, mais quel charme, quelle impétuosité, quelles qualités d’acteur pour camper ce Carlo psychologiquement instable. Et surtout quelle voix, capable de projection à plein volume mais aussi des nuances les plus subtiles. Thomas Hampson n’est pas un vrai baryton verdien ? Non, mais c’est un vrai baryton intelligent, qui prête ses qualités de phrasé et son humanité à un Posa qui est le trait d’union idéal entre Carlo et son père. Matti Salminen trahit son âge, et son Philippe II manque de couleurs et parfois de grave ? Certes, et c’est peut-être le point faible du plateau : mais au moins a-t-il vraiment la crédibilité pour être le père de Kaufmann, et pour n’être jamais aimé de sa jeune épouse. Elle, c’est Anja Harteros : la soprano gréco-allemande, capable de concilier puissance et élégance, est une Elisabeth de grande beauté et de grande classe. Excellents aussi, le Grand Inquisiteur d’Eric Halfvarson ou l’Eboli d’Ekaterina Semenchuk.

Devant eux, dans la fosse, il y a Antonio Pappano. L’ancien directeur musical de la Monnaie avait déjà enregistré et dirigé le "Don Carlos" en version française, et c’est peu dire qu’il connaît l’œuvre comme sa poche. Sans tomber dans le piège de l’hédonisme sonore (toujours tentant, avec le Philharmonique de Vienne) mais en sachant profiter de tous ses instruments et de leur spatialisation, Pappano contrôle, déchaîne, raconte, magnifie, et c’est un bonheur de retrouver sous sa baguette tant de thèmes familiers et attachants. D’autant que l’œuvre est, pour une fois, donnée sans coupures.

Dans une interview au magazine allemand "Opernglas", Peter Stein ne cachait pas les couleuvres qu’il avait dû avaler pour cette production : distribution imposée sans concertation par la direction du festival, choix de la version italienne plutôt que de l’original en français (que les stars ne veulent pas passer de temps à apprendre) ou temps de répétition limité avec les premiers rôles, trop occupés à chanter ailleurs. Le résultat ne manque pourtant pas de qualités, et est en tout cas supérieur au très décevant "Macbeth" que Stein avait monté ici voici deux ans. Avouant avoir pour premier but de raconter l’histoire et revendiquant dès lors, clin d’œil en coin, son "conservatisme", celui qui fut cinq ans durant (sous le règne de Gérard Mortier) le responsable du théâtre au festival de Salzbourg réussit avant tout les scènes en duo : la confrontation entre Philippe II et le Grand Inquisiteur, les retrouvailles de Carlo et Posa en prison et, surtout, les trois scènes de rencontre de Carlo et Elisabetta, et cette irrésistible attraction qui s’empare d’eux nonobstant la pression des convenances. Certes, les scènes de foule sont moins réussies, avec des déplacements qui frisent la naïveté et des effets (bûcher) qui la dépassent. Mais, dans les décors très dépouillés et stylisés de Ferdinand Wörgerbauer et les beaux costumes dans les teintes bleu nuit d’Annamaria Heinreich, ce résultat extrêmement classique finit par séduire.









 
 
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