|
|
|
|
|
Les Temps, 02 septembre 2013 |
Jonas Pulver |
|
Verdi: Don Carlo, Salzburger Festspiele, August 2013
|
|
La lumière des voix, l’ombre de Verdi
|
|
Jonas Kaufmann, Anja Harteros et Thomas
Hampson ont ébloui Salzbourg dans «Don Carlo». Peter Stein signe une mise en
scène sans aspérité |
|
Jonas Kaufmann, Anja Harteros et Thomas Hampson sous la baguette d’Antonio
Pappano: un casting idéal porté par une mise en scène signée Peter Stein,
climatique plutôt que conceptuelle, sans autre ligne de fuite que
l’adéquation esthétique et dramaturgique avec le livret: Don Carlo de Verdi
était sans doute, cet été à Salzbourg, le spectacle le plus emblématique des
Festspiele à l’ère d’Alexander Pereira. Un règne qui durera par ailleurs
moins longtemps que prévu, puisque Pereira, nommé intendant à La Scala de
Milan à la suite de Stéphane Lissner (de retour à Paris), prendra ses
fonctions en 2014, et non en 2015 comme annoncé en juin. Son mandat à
Salzbourg devait s’étendre jusqu’à 2016, et le directeur avait prévu de
cumuler les deux fonctions durant une année. Mais cette double casquette n’a
pas du tout plu au conseil d’administration des Festspiele, qui a réduit son
contrat de deux ans, permettant à Pereira et au théâtre milanais d’entamer
leur collaboration une saison plus tôt.
Au-delà de sa personnalité
flamboyante et de son goût pour le people, de sa conception du théâtre plus
épicurienne qu’expérimentale (même s’il a offert à Zurich quelques jolies
percées en la matière) et de son tempérament dépensier (c’est aussi un
excellent fundraiser), Alexander Pereira possède une indéniable qualité: il
sait composer une distribution en acier trempé, et jouit du carnet
d’adresses nécessaire pour parvenir à ses fins. Ce Don Carlo en est un
exemple criant, d’autant plus que le metteur en scène Peter Stein insère les
chanteurs dans une scénographie si lisse et sobre que les aspérités en
viennent à manquer; au moins les voix sont-elles en pleine lumière.
Nulle transposition alambiquée, ni métadiscours, ni mise en perspective
particulière dans ce traitement de Don Carlo: on est bien au XVIe siècle,
dans la forêt de Fontainebleau à l’heure où se négocie la paix
franco-espagnole sur fond de mécontentement populaire et de ventres creusés
par la faim. Mais c’est un XVIe siècle stylisé, réduit à son squelette: sur
le plateau, blanc et béant, baigné par les lumières froides et blafardes
d’un hiver éternel, il y a quelques bûches pour dire la forêt, plus tard une
enfilade d’arches nues en guise de monastère, ou encore un simple bassin
turquoise sous une aile d’olivier. L’idée de Peter Stein, c’est de
travailler sans cesse sur le manque, son minimalisme et ses pénombres
articulent la frustration, le renoncement qui habitent Elisabeth de Valois
et Don Carlo, infant d’Espagne, dont les sentiments et le mariage promis,
censé panser les plaies et apaiser les relations entre les deux puissances
européennes, est sitôt contredit par Philippe II. Le roi a décidé d’épouser
la jeune femme à la place de son fils; le triangle amoureux typique
ténor-soprano-basse prend une coloration œdipienne.
Rarement Verdi a
écrit œuvre aussi radicalement noire et uniformément pessimiste; la version
originale, créée à Paris en 1867 et traduite quinze ans plus tard en
italien, se voulait dans l’esprit du grand opéra à la française. Peter Stein
resserre l’étau au maximum, comme pour en contenir la durée (environ quatre
heures): il utilise de grandes surfaces de rideau noir, horizontales ou
verticales, qui réduisent et oppressent progressivement l’espace scénique:
lors de la confrontation entre le cynique Philippe II (Matti Salminen,
timbre encore puissant) et l’idéaliste Rodrigo, puis lors de l’entretien du
roi, hagard et maladif dans sa chemise de nuit, avec le Grand Inquisiteur
(Eric Halfvarson, profondeurs charbonneuses et présence adéquatement
pourrissante).
Autre face-à-face marquant, celui du Don Carlo de
Jonas Kaufmann et du Rodrigo de Thomas Hampson. Les deux chanteurs, au
sommet, se complètent avantageusement dans la représentation de cette amitié
à l’épreuve de la mort. Kaufmann fait état d’un ténor à la fois ailé et
sensible, qui ne sacrifie jamais la densité des couleurs, même lors des plus
intenses éclats. Hampson, lui, est maître d’un baryton formidablement
olympien, aigus ouverts et aristocrates, à tel point que les deux voix,
malgré leurs caractéristiques propres, respirent une fraternité que Peter
Stein souhaite ouvertement physique, sensualisée.
C’est que l’amour
qui anime Don Carlo et Elisabetta est pour sa part contrarié, et transcendé.
Anja Harteros y dépose en offrande un soprano noble, fluide, jamais crié,
dont la justesse et l’élégance de ton sont rares parmi les chanteuses
verdiennes d’aujourd’hui. Antonio Pappano, à la tête de Wiener
Philharmoniker soyeux et chamarrés, démontre un contact exceptionnel avec
les chanteurs, qu’il sait suivre, envelopper et même soulever, faisant
jaillir de la fosse le drame et le mouvement qui manquent passablement sur
le plateau.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|