Libération, 25 août 2013
Par ERIC DAHAN
 
Verdi: Don Carlo, Salzburger Festspiele, 13. August 2013
 
Kaufmann et Harteros, les deux font l’opéra
Lyrique . Le ténor et la soprano ont excellé ensemble à la Scala de Milan, à Munich, et à Salzbourg, où ils viennent de se distinguer dans «Don Carlo» de Verdi.

Il est 17 h 30. Antonio Pappano entre dans la fosse du Grosses Festspielhaus de Salzbourg et lance l’ouverture du Don Carlo de Verdi. Cette nouvelle production est la plus attendue du festival. Car après Lohengrin de Wagner à la Scala en décembre et le Trouvère de Verdi début juillet à Munich, elle réunit à nouveau sur scène Anja Harteros et Jonas Kaufmann.

Dès l’acte de Fontainebleau, Anja Harteros campe une Elisabetta de très grand style. Emission confondante de naturel, homogénéité parfaite du timbre sur toute la tessiture, galbe majestueux de la ligne, souffle infini qui lui permet d’oser des pianissimos filés : elle possède toutes les couleurs et nuances du rôle.

Noblesse. Mais c’est surtout sa façon d’incarner le drame avec dignité, de la joie rêveuse à l’accablement, qui fait d’elle la plus grande Elisabetta et la plus authentique soprano verdienne entendue depuis des décennies.

Bien qu’il l’ait déjà défendu avec succès, le rôle-titre n’est pas dans les cordes de Kaufmann. On se souvient de son Alfredo au palais Garnier, techniquement somptueux mais aux aigus intelligemment couverts au lieu d’être dardés avec cette insolence solaire qui fait les ténors verdiens. Kaufmann sait néanmoins se dépasser dans les rôles tourmentés : son génie de la caractérisation associé à sa noblesse stylistique héritée de Wunderlich font que l’on est suspendu à chacune des inflexions vocales. Ses duos avec Elisabetta enchantent, au point que l’on se demande pourquoi l’opéra n’est pas toujours défendu avec cette exigence.

Mais ce n’est rien en comparaison avec ce qui nous attend à l’acte IV, lorsque Rodrigo vient visiter Don Carlo en prison et tombe sous les balles. Kaufmann sort le très grand jeu : la tension vocale qu’il crée en défiant Philippe II et le désarroi qu’il exprime retournent l’estomac. Les grincheux qui trouvent la production de Peter Stein trop classique peuvent toujours pérorer, le public venu pour Verdi a été comblé. Certes Don Carlo est l’un de ses ouvrages les plus riches : un flot discontinu d’idées orchestrales, chorales et vocales. Et Antonio Pappano est un chef d’opéra majeur, capable de galvaniser le Wiener Philharmoniker. Mais la leçon de ce Don Carlo, c’est que l’on ne fait pas d’opéra sans grands chanteurs.

«Grosse tête». Après l’ovation debout de toute la salle, une quarantaine de fans patientent devant l’entrée des artistes, avec des CD achetés dans le hall qu’ils comptent bien faire signer. En cette année 2013, où l’on célèbre le bicentenaire des naissances de Verdi et de Wagner, Kaufmann est très présent. Après un sublime récital Wagner paru en mars, il est avec Anja Harteros au générique d’un Requiem de Verdi enregistré à la Scala sous la baguette de Barenboim. Ces deux disques sont parus chez Decca, qui vient également de livrer The Best of Jonas Kaufmann, compilation des plus beaux airs qu’il ait gravés. Passé chez le concurrent Sony, le chanteur y publiera bientôt un album d’airs de Verdi.

Alors qu’Antonio Pappano et Thomas Hampson, qui incarne Rodrigo, viennent à la rencontre de leurs admirateurs qui patientent devant les grilles, Kaufmann prend le chemin opposé et lance, de dos, un «ciao» à la cantonade avant de disparaître. Un homme déclare : «Il a pris la grosse tête.» Possible. On n’est pas souvent le ténor wagnérien et verdien de l’année.






 
 
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