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Forum Opera
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par Clément Taillia |
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Konzert, Wien, 18. März 2012
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Impressionnante jeunesse !
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Au terme d’une tournée qui l’a notamment mené à Paris et à Munich, le City
of Birmingham Symphony Orchestra atterrit à Vienne, toujours avec le même
invité de luxe dans ses bagages : Jonas Kaufmann, dont les programmateurs du
Musikverein étaient si convaincus qu’à lui seul il remplirait les trois
quarts des sièges qu’il fut décidé d’étaler ses participations sur les deux
parties du concert, afin d’éviter à l’entracte un exode massif de
lyricomanes repus. Opération partiellement réussie, certains spectateurs ne
se privant pas de filer entre Strauss et Ravel, quitte à se priver d’une 2e
Suite de Daphnis et Chloé qui n’avait pourtant rien d’un complément de
programme. Les musiciens de Birmingham semblent avoir trouvé en Andris
Nelsons leur nouveau Simon Rattle. Le geste souple et précis, l’enthousiasme
communicatif du jeune chef letton séduisent d’emblée. Dès les premières
mesures d’une Mer envoûtante, aux climats incessamment variés, on admire
l’étonnante maturité musicale de ce trentenaire sans parvenir à démêler ce
qu’elle doit à un instinct que l’on devine sans faille et ce qu’aura pu lui
apporter une formation d’exception, prodiguée notamment, comme on sait, par
Mariss Jansons. Toute part de mystère qui caractérise les artistes
authentiques ; le très chaleureux accueil que Nelsons a obtenu des viennois
n’avait sans doute pas grand-chose à voir avec sa jeunesse : c’est que
chacun aura tenu à saluer à sa juste valeur un musicien rayonnant, en pleine
possession, déjà, de ses moyens.
Autant de qualificatifs qui
pourraient s’appliquer à Jonas Kaufmann, mais que le ténor allemand soit un
talent parmi les plus splendides de notre monde musical n’est plus un secret
personne. D’où vient, alors, que son interprétation des Kindertotenlieder ne
nous renverse pas ? Les phrasés sont éloquents, l’élocution ciselée, le
timbre, comme le pli du front et l’éclat éteint du regard, l’expression même
de la douleur. Mais quelque chose manque, une forme d’abandon dans le
désespoir, d’indignation dans la tristesse. Ces Kindertotenlieder sont ceux
d’un homme qui a déjà fait son deuil, qui a passé les affres de la folie et
qui recherche désormais l’apaisement. Ou, plus trivialement, d’un chanteur
qui, partition en main, ne s’est pas encore tout à fait habitué à une
partition à laquelle on a hâte de le revoir confronté.
Les Lieder de
Richard Strauss dévoilent naturellement une toute autre aisance. « Heimliche
Aufforderung » installe d’emblée une atmosphère où le naturel et la
spontanéité ne seront jamais démentis. Ni l’agitation intérieure de « Ruhe,
meine Seele » ni la tranquilité douce-amère d’« Ich trage meine Minne » ne
lui échappent. In fine, l’enchaînement, assez classique mais toujours
efficace du tendre « Morgen » et de la fiévreuse « Cäcilie » achèvent de
renverser la salle… et en bis, la non moins attendue « Zueignung » fait
toujours recette. Et c’est sous les ovations, en spécialiste ayant une
nouvelle fois fait la preuve de sa maîtrise et de son excellence que Jonas
Kaufmann sort de scène. Côté voix et côté orchestre, on aurait été enchanté
d’entendre ce soir-là deux jeunes prodiges plein d’avenir ; on a eu mieux :
deux grands musiciens, au sommet de leur art.
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