Opéra Magazine, fevrier 2013
Richard Martet
 
Wagner: Lohengrin, Teatro alla Scala, 11. Dezember 2012
 
Milan, Lohengrin
 
Pour l'inauguration de sa saison 2012-2013, la Scala de Milan a logiquement joué la carte du prestige, en misant sur Daniel Barenboim, Claus Guth et Jonas Kaufmann. Vu et entendu à la deuxième représentation, quatre jours après la première retransmise sur Arte, le spectacle laisse un sentiment d'autant plus mitigé que nous en attendions peut-être trop.

Claus Guth est un metteur en scène dont l'intelligence et le métier ne sauraient être remis en question. Son parti pris de départ convainc. Le décor de Christian Schmidt est splendide : l'intérieur d'une demeure bourgeoise à l'époque de la composition de Lohengrin (1846-1848), avec des boiseries montant jusqu'aux cintres, des rangées de balcons aux balustrades grises, une longue table de travail, un piano, un arbre au tronc couvert de lierre et des herbes hautes autour. Heinrich est un officier supérieur de l'armée. Telramund est en redingote grise, Ortrud en Cosima, et les choristes figurent les employés de maison.

L'apparition de Lohengrin est saisissante : recroquevillé sur le sol, pieds nus, simplement vêtu d'un pantalon et d'un gilet gris sur une chemise blanche. Il titube comme s'il sortait d'un long sommeil et donne l'impression d'avoir du mal à s'exprimer, rappelant le célèbre Kaspar Hauser, ce presque contemporain de Wagner, apparu en 1828 sur une place de Nuremberg, sans passé et quasiment incapable de parler. Un texte publié dans le programme de salle développe d'ailleurs le parallèle entre Lohengrin et celui que l'on surnomma « l'orphelin de l'Europe». Jusqu'au bout, le personnage principal de l'opéra va rester hésitant, craintif, reculant devant tout acte de violence et endossant malgré lui l'habit de héros que l'on veut lui faire porter. Il essaie bien de se donner une allure martiale dans le tableau du mariage, pour lequel il accepte de revêtir un frac ; mais, dès le début du III, il s'empresse d'enlever ses souliers vernis pour revenir au plus vite à l'état de nature qui est le sien.

Elsa, tout aussi décalée par rapport au monde qui l'entoure, est l'alter ego idéal de cet «extraterrestre» dans lequel, peut-être plus qu'un époux, elle voit une réincarnation du frère tant aimé et regretté (la mise en scène laisse planer le doute sur un éventuel inceste). L'image finale a donc sa logique : Lohengrin donne sa vie pour que revienne le disparu.

On portera encore au crédit de la production l'élégance des costumes d'Elsa et Ortrud, ainsi que la beauté des éclairages d'Olaf Winter, en particulier à l'acte III, baigné d'une sublime lumière dorée. Le duo dit «de la chambre» est d'ailleurs l'un des moments les plus réussis sur le plan visuel, avec Lohengrin et Elsa chantant les pieds dans l'eau, sur un ponton aménagé au milieu des roseaux (une évocation du lac de Starnberg, où se noya Louis Il de Bavière ?).

Il y aussi, malheureusement, quelques clichés (la présence des deux enfants, garçon et fille, justifiée par la perspective dramaturgique mais vraiment trop insistante), des détails dont le seul but semble être de faire travailler les méninges des spectateurs férus de l'exercice, et de nombreux temps morts. Par choix ou par manque de temps (un mois tout juste sépare la première de ce Lohengrin de celle de Pelléas et Mélisande à Francfort !), Claus Guth ne s'est attaché qu'aux personnages d'Elsa et Lohengrin. Le Roi n'existe pas sur le plan scénique, Ortrud et Telramund à peine plus, ce qui transforme en véritable «tunnel» tout le début du II. Et, comme c'est le moment où Daniel Barenboim retombe dans la torpeur qui affectait déjà le prélude, on s'ennuie ferme !

Car le directeur musical de la Scala n'est pas exempt de reproches. Comme dans Die Walküre en 2010, sa direction alterne merveilles et passages à vide, au point que l'on finit par perdre de vue l'architecture d'ensemble. Trop bruyant à la fin du I il traîne pendant tout le début du tableau du mariage, pour se réveiller au moment de l'apparition de la promise. Tout le finale du II est ensuite grandiose, comme celui du III d'ailleurs, malheureusement précédé d'une longue «panne» lors du duo d'amour. L'orchestre, par chance, est de bout en bout somptueux, à l'instar des choeurs, dont le niveau ne faiblit pas.

La distribution, enfin, est elle aussi inégale. Annoncé souffrant, Tomas Tomasson peine à s'imposer en Telramund, face à l'Ortrud aux cris insupportablement faux d'Evelyn Herlitzius. Aux côtés du Héraut de luxe de Zeljko Lucic (il sera Renato dans Un ballo in maschera en fin de saison à la Scala), René Pape chante divinement et fait passer beaucoup d'émotion en Roi. Remplaçant Anja Harteros, Ann Petersen est certes correcte, mais elle ne possède pas la transparence ni les couleurs argentées exigées par Elsa. Ses caractéristiques vocales la prédisposent davantage au rôle d'Isolde, dans lequel elle s'était montrée remarquable à l'Opéra de Lyon, la saison dernière. Reste Jonas Kaufmann, qui accroche littéralement la lumière dès son apparition. Dans une forme vocale éblouissante, en cette soirée du 11 décembre, il ose tout, y compris le murmure dans un «In fernem Land» qui tire les larmes. Parcourant toute la gamme des nuances, du forte au pianissimo, sans que le timbre perde une seule seconde de sa substance, il fascine autant qu'il bouleverse par un art du chant porté à son zénith. On peut légitimement préférer un Lohengrin plus clair, à l'émission plus haut placée, tel Klaus Florian Vogt aujourd'hui, mais l'incarnation de Jonas Kaufmann mérite d'entrer dans l'histoire, ne serait-ce que parce qu'elle ne ressemble à aucune autre par le passé.

Grâce au ténor allemand, nous avons donc, globalement passé une bonne soirée. Sans lui, nous nous serions à coup sûr, beaucoup plus souvent ennuyés!






 
 
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