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ConcertoNet
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Claudio Poloni |
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Wagner: Lohengrin, Teatro alla Scala, 18. Dezember 2012
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Un cygne qui ne trompe pas
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L’ouverture de la saison de la Scala – traditionnellement le 7 décembre,
jour de la Saint-Ambroise, patron de la ville de Milan – est l’un des
événements artistico-mondains les plus importants en Italie, relaté en long
et en large dans tous les médias de la péninsule. Chaque année, les
polémiques vont bon train. A la veille du bicentenaire Verdi-Wagner de 2013,
certains, animés d’un sentiment nationaliste douteux, n’ont rien trouvé de
mieux à faire que de pousser des cris d’orfraie pour s’indigner du fait que
l’honneur de l’ouverture puisse échoir au compositeur allemand – avec
Lohengrin – plutôt qu’à l’italien, de surcroît dans un théâtre considéré
comme le «fief» de Verdi. On n’en croit pas nos oreilles! Et c’est le
président de la République en personne (!!) qui a dû intervenir pour calmer
le jeu, qualifiant le débat de «futile». Décidément, il n’y a qu’en Italie
que l’opéra déchaîne encore de telles passions…
La polémique
apparaît d’autant plus dénuée de sens que ce Lohengrin d’ouverture de saison
se révèle un spectacle mémorable. Grâce tout d’abord à Jonas Kaufmann,
chevalier du Graal tout simplement prodigieux. Comment ne pas s’émerveiller
en effet des pianissimi incroyables osés par le ténor allemand, à la limite
de l’audible, des nuances dont il pare son chant, de sa maîtrise de
l’émission et de son phrasé irréprochable? Ce faisant, il insuffle une
fragilité émouvante à son personnage, qui devient du coup un anti-héros, un
homme incompris, vivant en marge de la société. René Pape ne lui
cède en rien, campant un Heinrich royal, confondant d’autorité et de
dignité, avec une projection exemplaire. La quatrième représentation est la
première pour Anja Harteros, qui s’est remise d’une indisposition. Elle
incarne une Elsa touchante de fragilité, comme étrangère à tout ce qui
l’entoure, avec une extraordinaire maîtrise de la ligne de chant, des sons
éthérés et un timbre d’une luminosité rayonnante. Evelyn Herlitzius fait,
elle aussi, forte impression, conférant à Ortrud une rage et une agressivité
hors du commun, avec çà et là un chant à la limite du cri. Le Telramund de
Tómas Tómasson est un traître plus vrai que nature, alors que Zeljko Lucic
donne des accents incisifs au héraut. Dans la fosse, Daniel Barenboim,
impérial, pousse l’Orchestre de la Scala vers des sommets et livre une
lecture d’un rare équilibre, avec, dans les moments de paroxysme, des
flamboiements et des déchaînements de violence et de passion inouïs, qui
contrastent, dans les passages plus lyriques, avec des accents épurés et
intimistes, d’une profonde intensité, sans oublier les noirceurs
inquiétantes du IIe acte. Quant au chœur, si important dans Lohengrin, il
livre une prestation superlative. Les oreilles sont à la fête!
La
mise en scène constitue, malheureusement, le seul bémol du spectacle. Claus
Guth, qu’on a connu autrement plus inspiré à Salzbourg avec son cycle
Mozart-Da Ponte ou à Zurich avec Tristan et Isolde, signe ici une production
aussi alambiquée qu’inaboutie. Point de cygne, ni de chevaliers moyenâgeux:
l’action est transposée à l’époque de la création de l’ouvrage (1850), dans
un intérieur bourgeois où seule une table occupe l’espace, sorte de
huis-clos étouffant dans lequel vont se déchaîner des sentiments trop
longtemps étouffés. Adepte de la psychanalyse, le metteur en scène se
concentre sur Elsa, traumatisée par la mort de son frère. Névrosée, bourrée
de tics, la jeune fille a une fâcheuse tendance à tomber par terre à la
moindre contrariété. Elle fantasme sur Lohengrin, croyant revoir son frère
en cet inconnu qui vient de loin, avec lequel elle forme un couple
fusionnel, voire incestueux. A la fin de l’ouvrage, le frère apparaît sous
forme de clone de Lohengrin. On relèvera néanmoins la très belle scène
d’amour qui ouvre le IIIe acte, au bord d’une rivière bordée de roseaux. Les
adeptes de Freud apprécient peut-être, les autres nettement moins, mais ne
boudent pas leur plaisir tant les voix et l’orchestre comblent les attentes
les plus élevées.
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