Classica/L’œil et l’oreille par André Tubeuf
André Tubeuf
 
Beethoven: Fidelio, Paris, Théâtre des Champs Elysées, 30. Oktober 2012
 
« Fidelio » au Théâtre des Champs-Elysées
 
Foto: Blog Formalhaut, where you can find more photos and a review as well
« Un opéra vertueux », titrait Reynaldo Hahn rendant compte de représentations parisiennes du chef-d’œuvre foudroyant de Beethoven, alors dirigées par Philippe Gaubert (ou Paul Paray, ou même Bruno Walter en représentations), avec Germaine Lubin. Il remarquait combien le public reste réticent devant une œuvre pourtant toute flamme, tout enthousiasme, toute passion. Mais ce sont passion et feu chastes. Rien de mondain, de charnel, d’ordinaire, rien de ce qui fait le matériau habituel d’opéra ne se montre dans cette histoire à la fois trop réelle (une prison, le ménage d’un geôlier) et trop irréelle (le travesti, l’intensité hallucinante d’un personnage supposé exsangue), trop idéale aussi (les passions à leur plus épuré et désintéressé, l’amour, mais très expressément conjugal). Pourtant Paris s’est pressé au Fidelio de concert apporté aux Champs-Elysées (admirable habitude) par Munich au complet, orchestre, chœurs, et cast (les stars ; les révélations aussi).

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Paris est resté très peu vibrant tout au long d’un premier acte pourtant animé et enchaîné, dramatisé de main de maître (sinon irréprochablement équilibré et conduit) par Adam Fischer. Il s’y entendait pourtant des choses merveilleuses, tant par la vérité dramatique que par la qualité d’exécution, notamment dans les ensembles (trio, quatuor, grand concertato), ce qui en opéra devrait être le critère suprême de qualité et même de réalité. La façon dont Waltraud Meier, pourtant le contraire d’une grande chanteuse classique d’oratorio, a repris la phrase d’entrée de Mir ist so wunderbar, déjà assez magiquement murmurée (mais avec legato, avec âme, et même avec timbre) par la radieuse Hanna Elisabeth Müller, authentique révélation de la soirée, aurait déjà dû mettre à genoux une salle attentive à Beethoven, ou tout bonnement à la qualité de l’exécution de ce qu’on lui fait entendre. Item ses élans dramatiques, si musiciens, si médités, dans la tessiture crucifiante (pour elle, mais en vérité pour quiconque) du trio Ich habe Mut !

Assez typiquement, on a le regret de le dire, le seul (assez timide) applaudissement qui ait cherché à interrompre le déroulement silencieux d’une action dramatique avec ses moments parlés, fut pour la fin tonitruante de l’air de Pizarro, littéralement aboyé (mais avec effet) par le d’ailleurs assez impressionnant Tomasz Konieczny, toute petite quarantaine, Polonais, beau et sain, qui laissera sa voix à ainsi renfler ce qu’elle a de naturellement mordant et métallique, déformant les voyelles, mincissant le son pour le faire plus perçant. Ce n’est pas un cadeau, Pizarro, on le sait. On a entendu Schöffler avec rien de voix (les restes d’un Alfonso), Neidlinger avec seulement des consonnes y dominer l’orchestre de Karajan ou de Leitner. Un Abscheulicher médité plutôt qu’inspiré d’en haut montrait Waltraud Meier maîtresse du legato, plutôt courte de couleurs (mais mettant des nuances dramatiques discrètement expressives dans cette relative monochromie), raccourcissant d’ailleurs intelligemment la phrase qui évoque l’arc en ciel (Farbenbogen) pour la modeler en musicienne —sans en rien y mettre le pathos plus sensible, compassionnel d’une Fidelio naturelle (Lotte Lehmann restant le modèle, par la couleur vocale aussi). Très en accord avec Fischer, elle a ainsi adroitement accéléré (raccourci) et dramatiquement pressé (oppressé) le Komm Hoffnung qui suit avec un élan et un aplomb considérables, une vocalisation impressionnante dans les escalades en gammes (tout cela dans une grande excellence, intonation comme sonorité, des cors ici très à la fête), et deux si naturels dont le second, triomphant, archiouvert et un rien haut, équilibrait ce que le premier avait de plus intérieur (et un rien bas). Très respectable exploit, qu’on a laissé se perdre dans l’orchestre qui s’efface ensuite comme sur la pointe des pieds, sans applaudissements. On a de même laissé s’effacer dans son progressif silence la fin de l’acte, après un grand concertato riche en détails superbes (dont la vocalisation passionnée de Marzelline). Par ce silence, il est vrai, Beethoven annonce dramatiquement l’autre silence où le II nous introduira, dans l’oubliette du donjon. On aurait très volontiers vu s’enchaîner le II directement à un I si bien aménagé dramatiquement. Mais il y a eu entracte.

Et rentrée bruyante. Avant même que la musique ne commence, le beau Jonas apparaissait, et ce fut le vacarme. La soirée tenait son héros, il n’avait pas annulé. Comme prenant acte qu’on commençait dans l’écho de cette ovation, les cuivres de l’Ouverture se sont faits curieusement marqués et insistants, d’un air de vouloir prolonger leurs appels (et il y en a, dans cette vertigineuse introduction orchestrale). Du coup on se mettait à espérer que Florestan, éveillé et même électrisé par ces appels, lancerait son Gott de façon plus réelle et secouante, moins artistement pianissimo puis artistement enflé qu’il ne s’en est fait une habitude (à Garnier, à Munich, cette habitude du pianissimo s’enflant ayant déteint un peu partout, et devenant en quelque sorte sa signature vocale). Mais non. Il sortait du silence (mais sortait-il vraiment, si vidé de timbre ?) pour s’enfler et tenir en trompette, bel exploit purement vocal, mais dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il est le plus contraire qui soit à la situation et à la vérité dramatique et musicale. En résultent forcément ensuite des répartitions et contrepesées assez arbitraires dans le traitement déclamé du reste du récitatif, d’ailleurs tenu d’une voix facile et fraiche. Même relatif jeu d’accordéon vocal dans la cantilène In des Lebens Frühlingstagen qui suit ; mais absolument sublime départ de la strette (ou cabalette), le Kaufmann rayonnant, enthousiaste et simple de ses débuts, seule l’extrême fin de la strette (qui est authentiquement un tue-voix) ne montrant, hélas, rien du timbre resté lumineux et franc et pas forcé (même là) de ses Fidelio d’antan. Il faut dire que plus tard dans l’acte le duo Namenlose Freude les montrera, lui comme sa partenaire, rayonnants de facilité et de vérité de timbre, du moins (là encore) jusqu’à la toute fin.

Un très bon tout neuf Jacquino, Alexander Kaimbacher, pas mièvre, positif, un peu malheureusement coiffé et souriant des dents à la Kaufmann (à l’entrée du I, plus d’un dans le public a dû le prendre pour la star, sans se demander ce qu’il faisait déjà là). Un superbe Salminen, chantant vraiment le singspiel quand c’est du singspiel, sonore dans le mélodrame (le parlé de l’oubliette), bonhomme, inusable, exemplaire. Un parfait Ministre, Tareq Nazmi, Koweitien de 29 ans, début aussi prometteur que celui de Mattei dans ce même rôle à Salzbourg avec Solti, voix lisse, comme huilée, dont le timbre se dramatisera (pas trop vite, espérons). Révélation rayonnante, on l’a dit, avec Hanna Elisabeth Müller : voix blonde et avec étoffe, timbre d’emblée présent, brillant et frais, ligne de chant et émission cultivées, formée au lied, couvée au Studio de Munich, ayons l’œil sur elle ! On aurait aimé le chœur des Prisonniers un rien plus murmuré, assourdi, hanté, et comme n’y croyant pas, c’est autrement évocateur !

Merci à Munich en tout cas pour cette leçon d’Ensemble, et d’intégrité dans l’Ensemble, même un Ensemble ici clouté de stars, ce qui n’est pas la formule la plus aisée à tenir !









 






 
 
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