|
|
|
|
|
ResMusica
|
par Dominique Adrian |
Verdi: Don Carlo, Bayerische Staatsoper, 22. Januar 2012
|
Don Carlo à Munich
|
|
L’opéra est un tout, et donner la priorité au chant, à l’orchestre ou à la
mise en scène sont autant de contresens. Pourtant, on a bien du mal à ne pas
accorder ici, pour une fois, une prééminence marquée au chant. Non que
l’aspect scénique soit ici une gêne : créée en 2000, cette production est
certainement la meilleure des mises en scène de Jürgen Rose, commenous
avions déjà pu le constater en 2010 – on ne niera cependant pas que quelques
répétitions scéniques supplémentaires n’auraient pas nécessairement nui. Il
n’en est pas de même pour l’accompagnement orchestral : l’Orchestre national
de Bavière a du métier et le montre, mais il n’est véritablement dirigé que
par moments ; les accents personnels que place alors Asher Fisch sont trop
souvent de simples effets de manche qui ne parviennent pas à donner sa
cohérence à une œuvre qui est une véritable tragédie en musique tirée de
Schiller et pas un de ces désolants mélos que Verdi a trop souvent mis en
musique.
La distribution est plus contrastée. Passons rapidement sur
Anna Smirnova, qui se contente en général de produire du son ; les quelques
tentatives d’expression qui tentent d’animer sa voix ne font que la mettre à
découvert. Boaz Daniel, lui, doit assumer le remplacement de Mariusz
Kwiecien, attendu avec impatience. Daniel ne parvient jamais à donner à son
personnage la chaleur humaine qui en fait l’intérêt, en partie parce que la
voix ne suit pas : passe encore que le timbre ne soit pas des plus beaux,
mais on cherche en vain les nuances, les couleurs, tant la conduite de voix
est monotone ; pour les dernières phrases de son rôle, sa voix n’est plus
qu’un lambeau éraillé, ce qui est pour le moins préoccupant.
René
Pape, lui, n’a pas ce souci : le timbre reste aussi éclatant que la voix est
solide, et on regrette d’autant plus qu’il se contente d’un roi de
carton-pâte, où les émotions ne sont que des façades, quand les grands
effets ne l’emportent pas. Qui n’aime que les voix est à la fête avec un tel
timbre, une telle générosité, un tel engagement ; qui s’intéresse aussi au
drame et aux personnages reste ici sur sa faim.
L’essentiel de
l’intérêt de cette reprise tient donc dans le couple central constitué par
deux des chanteurs les plus présents à l’Opéra de Munich ces dernières
années. Leurs Lohengrin communs, ciselés par Kent Nagano et immortalisés par
un DVD, sont dans toutes les mémoires ; ce Don Carlo n’est peut-être pas
historique au même point ne serait-ce que parce que leurs partenaires ne
sont pas du même niveau, mais Jonas Kaufmann et Anja Harteros offrent une
démonstration de chant qui suffit à justifier cette reprise hivernale.
La voix de Jonas Kaufmann a évolué depuis ce Lohengrin, et si on
regrette un peu la fragilité juvénile qui en faisait tout le prix, les
couleurs plus chaudes et la vaillance toujours contrôlée qui l’ont
remplacée, avec un timbre toujours plus barytonnant, conservent à sa
prestation la qualité émotionnelle unique que le public attend de lui.
Le développement vocal d’Anja Harteros est plus linéaire : peut-être
aurait-on aimé qu’elle s’alourdisse un peu moins vite, mais la nature de sa
voix n’a pas changé, pas plus que ses qualités de musicalité et
d’intelligence dramatique. On regrette amèrement qu’il n’y ait pas eu un
chef plus avisé pour la dissuader de commencer son air de façon si
véhémente, mais hors cette faute de goût on ne peut qu’admirer cette
démonstration de chant qui contraste si cruellement avec la routine de bien
des grandes scènes. Le sommet de la soirée est atteint dans le duo final, où
les deux voix s’unissent en un pianissimo de rêve. Il faudra continuer à
guetter les apparitions communes de ces deux musiciens d’exception.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|