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Qobuz, 18.1.2012
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André Tubeuf
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Verdi: Don Carlo, Bayerische Staatsoper, 15. Januar 2012
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Don Carlo à Munich
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Le plus extraordinaire dans l’extraordinaire Don Carlo que Munich reprend
pour cinq représentations est que la production, de Jürgen Rose, date de
douze ans déjà. Elle n’a pas une ride, comme tout ce qui est conçu en vue de
la scène seulement et de la commodité, de la lisibilité de l’action.
Panneaux, portes, on est aussi bien à Juste ou en forêt ou à l’Escurial. La
grande terrible croix qui surplombe l’action de bout en bout est plutôt là
pour l’unité spirituelle du climat. Une toile n’aura qu’à se lever pour
découvrir la tribune royale d’un Autodafé déjà très présent au premier plan
par les corps des suppliciés exposés. Superbe défilé, là, sans rien
d’inutilement décoratif mais la présence de l’Inquisition, son poids et sa
majesté montrés à plein. La lisibilité est accentuée à l’extrême par le
flash back au lever de rideau de Carlo se remémorant (rêvant ?) ce qu’il
faut de l’épisode de Fontainebleau pour justifier son Io l’ho perduta
déchirant, et situer d’entrée de jeu Carlos et Elisabeth comme les
authentiques protagonistes d’une longue et terrible histoire de dépossession
et de renoncement. Il est loin, Dieu merci, le temps où le soprano et le
ténor, au motif qu’ils ont surtout des duos, et que leur aria se trouve
placé, pour lui trop au début, pour elle trop à la fin, laissaient tout le
succès de la soirée à trois comparses sublimes certes, mais comparses, qui
ramassent tout avec leurs monologues ou airs sublimes et flatteurs,
Philippe, Posa, Eboli.
C’est peu de dire qu’il n’en est pas allé
ainsi à Munich. Mais il faut ajouter que les performances solidairement
données par Anja Harteros et Jonas Kaufmann dépassaient les rêves les plus
fous de leurs supporters extasiés. Lui, après son épisode wagnérien
barytonnant de la saison passée (Siegmund au Met) a retrouvé la position
plus favorable de sa voix ; si peu italien qu’il soit de timbre, la
cantilène Verdi va idéalement à son jeu expressif et dramatique d’ombres et
de lumières, et la messa di voce phénoménale qui trouve dans ces longs sons
tenus (rêvés) leur légitimation absolue. L’Infant est montré ici carrément
malade, constamment sous la menace d’un raptus peut être bien épileptique,
et Kaufmann le joue, l’incarne, le chante avec un mélange de défi extatique
et de témérité vulnérable en très beau héros schillérien ténébreux : de la
voix il caresse, et cingle. Le plus beau pourtant, ce sont les deux duos,
articulés dramatiquement avec une puissance de suggestion et des rebonds, et
un engagement physique, exemplaires, mais d’abord un respect miraculeux des
valeurs dynamiques expressives : réussite (révélation, en fait) qui n’est
possible que par la dignité suprême qu’Anja Harteros apporte de bout en bout
à Elisabeth de Valois. La tenue physique, le port, sont merveilleux ; le
geste, royal ; et la voix, simplement surnaturelle dans la rigueur de la
ligne, la perfection de l’attaque et de l’intonation, et le phrasé
sculptural, d’une sensibilité frémissante. La qualité de chaleur
spiritualisée, piano (et plus que piano) à la fin de Tu che le vanita et
dans les envolées mystiques de l’ultime duo sont d’une classe de chant dont
on ne connaît pas d’autre exemple aujourd’hui (depuis un bout de temps en
fait, à ce niveau de solidité et assurance en même temps).
Ce couple
royal suffirait : mais en plus la forme, la facilité vocales de René Pape
(roi Philippe II) sont ici hallucinantes. La pure pâte de la voix, contrôlée
à l’allemande avec une telle majesté de timbre et cette ligne déployées,
suffit au triomphe du monologue ; sa scène du jardin avec Posa était un rien
déparée par Boaz Daniel remplaçant Mariusz Kwiecein refroidi, dont tout ce
qu’on peut dire est qu’il sauvait la représentation : second couteau promu
Grand d’Espagne.
Superbe voix d’Anna Smirnova en Eboli, articulant sa
canzone avec une précision rare et assurant ses aigus du Don fatale avec un
vrai aplomb : mais soudain perdant pied dans le cantabile médian O mia
regina. Ajoutons l’Inquisiteur projeté d’Eric Halfvarson, le Moine de Steven
Humes, de très superbes Députés Flamands et un des orchestres de théâtre les
plus performants du monde, les plus scintillants instrumentalement aux mains
d’Asher Fisch.
C’est une bonne nouvelle que cette merveille, riche de
ces duos qu’on ne retrouvera peut être jamais, doive passer sur Internet le
dimanche 22 janvier à 17 heures, avec Kwiecein reprenant sa place.
Jürgen Rose [ci-contre] a réussi là un des Verdi les plus serrés et intenses
dramatiquement, les mieux en place qu’on ait jamais vus. Il a tout fait dans
ce spectacle, lumières et concept compris, assurant son unité idéale à un
chef-d’œuvre qu’on laisse trop souvent dispersé et composite, toile de fond
historique avec morceaux de bravoure. Ici l’unité d’un grand Verdi est
retrouvée, et l’impact est foudroyant. Munich donne un bel exemple de
programmation, en gardant une telle actualité à son grand répertoire ainsi
remonté et distribué, au moment où par ailleurs la maison s’apprête à
présenter ces cinq prochains mois, pas plus, la totalité d’un Ring tout neuf
!
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