Le Figaro, 07/08/2012
Christian Merlin
 
Puccini: La Bohème, Salzburger Festspiele, 4. August 2012
 
Jonas Kaufmann au secours de «La Bohème»
 
À Salzbourg, le ténor a remplacé au pied levé Piotr Beczala dans le rôle de Rodolphe.
 
Il se passe toujours quelque chose à l'opéra. Deuxième représentation de La Bohème au Festival de Salzbourg. À 20 heures, vendredi dernier, le directeur, Alexander Pereira, se dirige vers l'avant-scène. Le public expérimenté devine qu'il va annoncer qu'un chanteur est malade. De fait, le ténor Piotr Beczala est aphone. Déception de la ­salle. «Nous avons cependant pu, mais cela va nous obliger à commencer avec quarante minutes de retard…» Mais les huées du public l'empêchent de terminer sa phrase! Il finit par obtenir le silence et poursuit: «J'essayais de vous dire que finalement le rôle de Rodolphe va être chanté par… Jonas Kaufmann.» Le voilà à nouveau interrompu, cette fois, par les hourras d'une salle en délire! Avoir pour remplaçant le ténor le plus adulé de notre époque, avouez que c'est du luxe. Il est vrai que Jonas ­Kaufmann est au festival pour chanter Bacchus dans Ariane à Naxosde Strauss, l'un des rôles les plus lourds du répertoire, au programme la veille et le lendemain. Renonçant à son soir de relâche, il prend quelques minutes pour réviser le rôle et chante Rodolphe sur le côté de la scène, avec partition, pendant que Piotr Beczala, qui connaît la mise en scène par cœur, mime.

Caméscope et Spider-Man

Autant dire qu'il y a de l'électricité dans l'air quand la voix chaude et ambrée de Kaufmann se marie à celle, au magnétisme charnel unique, d'Anna ­Netrebko: ces deux-là savent ce que chanter sensuel veut dire. Quant à elle, elle rayonne littéralement.

Cet exploit d'un soir a donné du cachet à une soirée dont on aurait, sinon, perçu plus cruellement les limites. Le spectacle de Damiano Michieletto, nouvelle coqueluche de la mise en ­scène d'opéra, est astucieux. Dans des décors spectaculairement démesurés, la vie de bohème est transposée de nos jours, sur un plan de Paris géant façon Google Map: Rodolphe manie le Caméscope et non le stylo, le marchand de jouets est déguisé en Spider-Man, le café Momus est un grand magasin où les enfants reçoivent un ordinateur pour Noël, la Barrière d'enfer une baraque à frites sur le périph'.

Le public s'amuse, voici une modernité consensuelle. Et après? S'il suffisait de transposer pour convaincre que le sujet est d'aujourd'hui, la mise en scène serait un art facile. Et Michieletto tombe dans la facilité: produit de son époque, ce jeune homme doué propose des images, juste des images, avec un goût pour le gadget qui fait passer à côté de l'essentiel. En 2012-2013, il signera huit mises en scène: gare à ne pas devenir un industriel plutôt qu'un artisan! Des comparses émerge la Musette bien chantante de Nino Machaidze, plus que le Marcel brut de décoffrage de Massimo Cavalletti.

À la tête du Philharmonique de ­Vienne, Daniele Gatti fait profiter ­Kaufmann de tout son métier de chef lyrique et n'hésite pas à lui venir en aide. Sa direction surprend agréablement par la vivacité des deux premiers tableaux, avant de s'enliser dans les deux derniers, d'une baguette trop sentimentale et insuffisamment nuancée. Reste, de toute façon, à savoir si l'on va à Salzbourg pour entendre La ­Bohème.




 






 
 
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