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Forumopera
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par Pierre-Emmanuel Lephay |
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Liederabend, Baden-Baden, Festspielhaus, 23. April 2012
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Kaufmann, le bonheur !
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« O Glück ! » entend-t-on dans le Befreit de Richard Strauss, et c’est bien
du bonheur que l’on a eu en écoutant un Jonas Kaufmann au sommet de son art
et toujours aussi impressionnant par la maîtrise de son instrument. Car, en
plus d’un timbre superbe et d’une voix parfaitement homogène sur tous les
registres, ce qui frappe le plus chez ce chanteur est une technique
époustouflante permettant par exemple une immense palette de nuances
exploitée avec une facilité déconcertante (notamment par une extraordinaire
gestion du souffle). Le pianissimo le plus ineffable (et ce, parfois sur des
aigus périlleux sans que la voix ne soit serrée ou détimbrée) alterne avec
un fortissimo qui emplit sans peine la vaste salle du Festspielhaus, en
passant par des mezza voce et des crescendos renversants.
Sophistiqué
? Certes. Mais est-ce un problème lorsque cela va de pair avec une telle
générosité vocale, une telle urgence dramatique ? Cette démonstration
technique serait bien vaine si elle n’était associée, ou plutôt si elle
n’était au service de l’expression. Kaufmann, d’une finesse et d’une
sensibilité constantes, sait à merveille camper une ambiance, un caractère :
l’opéra n’est jamais loin ici, et l’on entend au détour de plus d’une page
le Siegmund, le Lohengrin ou le Parsifal qu’il a l’habitude d’incarner. La
prononciation de l’allemand est magistrale, sans exagération, sans explosion
des consonnes finales : fine et nette, tout simplement. Le français, très
bon, souffre cependant d’un manque de clarté et de quelques broutilles (le «
e » de « luxe » chanté avec la même intensité et la même durée que le « lu »
par exemple) mais il peut faire envie à bon nombre de chanteurs
francophones.
Le programme est fort bien construit. Les Liszt de la
première partie (pas toujours passionnants il faut bien l’avouer, hormis un
très beau Im Rhein) débouchent sur des Rückert Lieder de Mahler magistraux,
notamment les deux derniers (sublimes « Ich bin der Welt abhanden gekommen »
et « Um Mitternacht ») qui laissent pantois.
La deuxième partie
débute quant à elle par une sélection de mélodies de Duparc que Kaufmann
chante avec une grande intelligence et une grande compréhension du texte.
Cela sonne peu français avec une voix si ambrée mais ce serait bouder son
plaisir que de négliger un tel artiste à l’œuvre. Nouveau feu d’artifice
avec les mélodies de Richard Strauss que l’on a davantage l’habitude
d’entendre par des voix de femmes (et dont certaines ont déjà été
interprétées, mais avec orchestre, par Kaufmann ici-même il y a un mois).
Nul doute, d’ailleurs, que le compositeur bavarois aurait aimé la voix de
ténor en entendant Kaufmann car le chanteur s’y montre éblouissant : un
Befreit anthologique, un Morgen du même tonneau qui tétanise la salle, un
Cäcilie radieux... N’en jetez plus, nous sommes bien sous l’emprise du
bonheur exprimé par Strauss et le public sait bien le manifester, tant pour
Jonas Kaufmann que pour Helmut Deutsch, partenaire élégant et totalement à
l’écoute et à l’unisson du chanteur.
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