Altamusica, 09 août 2012
Yannick MILLON
 
Strauss: Ariadne auf Naxos, Salzburger Festspiele, 8. August 2012
 
L’art de la purge
 
Nouvelle production de la version originale d’Ariane à Naxos de Strauss dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf et sous la direction de Daniel Harding au festival de Salzbourg 2012.
 
Programmée cet été à Salzbourg afin de fêter le centenaire de sa création, la version originale d’Ariane à Naxos démontre à chaque instant combien Strauss a bien fait de l’expurger de ses insupportables longueurs. L’expérience valait d’être tentée, théâtralement surtout, mais au final, cette mouture initiale mérite pour de bon le placard.
Afin de commémorer son centenaire, Salzbourg a ressuscité Ariane à Naxos telle qu’elle fut créée dans sa version initiale le 25 octobre 1912 à Stuttgart. On oublie d’ailleurs trop souvent que le festival est bien autant renommé pour sa programmation théâtrale que pour l’opéra. Il n’était donc pas incongru qu’y figure un ouvrage donnant une large part à l’art dramatique.

Car avant de remanier l’œuvre pour l’Opéra de Vienne où elle connaîtra un franc succès en 1916, à l’opposé du four originel qui n’avait séduit ni les amateurs d’opéra ni les amateurs de théâtre, Strauss et Hofmannsthal avaient prévu en préambule une adaptation du Bourgeois gentilhomme de Molière avec musique de scène.

Quitte à se confronter à ce projet primitif, on eût aimé le découvrir tel quel. Seulement, dans l’exhumation proposée, les mises en abyme s’emboîtent comme des poupées gigogne lorsque le metteur en scène Sven-Eric Bechtolf, dans un hommage aux deux créateurs du festival, rajoute une intrigue amoureuse attestée entre Hofmannsthal et la veuve Ottonie von Degenfeld-Schonburg, cherchant peut-être à susciter l’empathie et l’identification du spectateur à l’histoire de Bacchus et Ariane.

Preuve que si théâtralement, la version initiale d’Ariane à Naxos était peut-être plus cohérente que la mouture définitive, où une fois passé le prologue, le changement de focalisation fait sans ménagement oublier l’enjeu, elle mérite elle aussi des ajustements pour atteindre pleinement son objectif dramatique.

D’où une première partie de plus d’une heure trente, moment de théâtre autonome et foisonnant mais totalement démesuré au regard du prologue d’à peine trois quarts d’heure de la version révisée, ô combien plus ramassé et haletant. On ose à peine évoquer le Compositeur, l’une des plus belles créations de Strauss, ici cantonné à un rôle parlé sous les traits d’une espèce de Benjamin Biolay bouffi, dénué de toute épaisseur.

Passé l’entracte, Bechtolf s’abandonne rapidement à un travail conventionnel visuellement assez moche avec ses pianos échoués sur le sable dans le salon de Monsieur Jourdain, et des costumes au goût pour le moins discutable – Zerbinette en pomme d’amour, Bacchus en complet léopard.

Mais c’est avant tout au niveau musical que cette Ur-Ariadne mérite les oubliettes, tant la partition souffre de longueurs, de redondances – l’interminable intermède italien avant la Bacchanale – et notamment d’une conclusion d’un mauvais goût absolu, dans le sillage de la musique rococo de la première partie.

Au demeurant, l’équipe musicale n’a rien de folichon. Dans un festival où Böhm a tant marqué l’ouvrage, Daniel Harding fait pour le moins pâle figure, inattentif aux chanteurs comme il n’est pas permis, bâtonnant les grandes phrases lyriques avec un volume guère modulé, réussissant seulement des épisodes Commedia dell’Arte où l’on se rend enfin compte que les Wiener jouent en fosse.

Emily Magee a un poids théâtral certain, mais la voix trop encombrante de cette Ariane mastoc, paresseuse, écrase un grave inélégamment poitriné et une projection limitée, sans parler d’une ligne de souffle réduite à une peau de chagrin.

L’air de Zerbinette dans sa version originale vire au numéro de cirque, et le simple fait d’en venir à bout vaut à Elena Moşuc une médaille en ces temps olympiques. Pourtant, un allemand quasi inintelligible, des respirations bruyantes, des trous dans la tessiture et de l’air sur la voix laissent bien loin les exigences musicales du rôle.

Un trio de nymphes à peine homogène et un quatuor bouffon de belle qualité – legato toutefois en option chez Harlekin – préludent à la seule prestation de la soirée digne de Salzbourg, le Bacchus de Jonas Kaufmann, d’un engagement total, d’une vocalité insolente et d’une projection bétonnée n’excluant pas les nuances. Un véritable triomphe face à toutes les embuches du rôle, porté par un aigu incendiaire, assez incomparable.







 






 
 
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