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Concertonet
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Sébastien Gauthier
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Konzert, Paris, 12. März 2012
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Concert fin de siècle
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Dans le cadre d’une tournée européenne qui les conduira notamment à Essen,
Munich, Vienne et Stuttgart, et au lendemain d’une interprétation de Tristan
und Isolde en version de concert dans cette même salle, le Théâtre des
Champs-Elysées affichait ce soir logiquement complet pour accueillir dans le
cadre d’un concert symphonique Andris Nelsons et l’Orchestre symphonique de
la ville de Birmingham, phalange dont il est chef titulaire depuis 2008.
Lorsque cet orchestre était venu dans la capitale il y a maintenant voir un
peu plus d’un an, Nelsons avait choisi un programme à la tonalité héroïque:
rien de tel ce soir, les œuvres interprétées ayant plutôt pour point commun
la période à laquelle elles ont été composées, à savoir le tournant des XIXe
et XXe siècles.
Les Kindertotenlieder de Gustav Mahler (1860-1911)
datent en effet de 1904: cycle de cinq chants sur des poèmes de Friedrich
Rückert, ils expriment magnifiquement (une fois encore) la douleur telle que
Mahler a pu la peindre à travers sa musique, malheureuse prémonition de ce
qu’il éprouvera lui-même lors du décès d’une de ses filles, Maria, en 1907.
Même si on les entend plus fréquemment chantés par une voix féminine ou par
un baryton, c’est donc à Jonas Kaufmann qu’échoit ce soir la rude tâche de
les déclamer, rappelant ainsi que Gustav Mahler avait lui-même choisi un
ténor (il s’agissait alors de Fritz Schrödter) pour les créer en janvier
1905. Contrairement à ce que l’on pouvait espérer, l’interprétation de la
nouvelle coqueluche des scènes lyriques s’avère étonnamment décevante. Outre
de constants problèmes d’équilibre entre l’orchestre et la voix, celle-ci
étant fréquemment couverte, notamment dans le deuxième lied («Nun seh’ ich
wohl, warum so dunkle Flammen»), handicapé qui plus est par une voix plutôt
fermée et caverneuse, Kaufmann chante ces poèmes sur un ton assez monocorde,
ne leur conférant aucune intention spécifique, le lied «In diesem Wetter, in
diesem Braus» ne se concluant ainsi nullement par quelque note d’espoir
comme ce devrait pourtant être le cas. La déception est d’autant plus grande
que l’Orchestre symphonique de Birmingham offre pour sa part une très belle
prestation même si l’on a connu hautbois et cor anglais plus séduisants.
Après l’entracte, ce fut, avec surprise et pour notre plus grand
bonheur, un tout autre visage que nous offrit Jonas Kaufmann. Sans nul doute
beaucoup plus à l’aise dans Richard Strauss (1864-1949) que dans Gustav
Mahler, il offrit un public une sublime série de lieder principalement issus
de l’Opus 27 (1894). Dès «Ruhe meine Seele», la voix de Kaufmann semble
s’être métamorphosée: puissante, pleine, altière, conquérante, elle inonde
la salle d’une radieuse présence, accompagnée par un Andris Nelsons dans son
élément, Strauss faisant partie de ses compositeurs de prédilection. On
retiendra surtout l’étincelant «Morgen» (interprété en quatrième position et
non en troisième comme indiqué dans le programme) où tout ne fut que
délicatesse, l’excellent premier violon solo Laurence Jackson jouant un rôle
de partenaire de tout premier ordre. Bien que n’ayant pas été annoncé au
programme, «Heimliche Aufforderung» (toujours tiré de l’Opus 27) conclut ce
récital de la plus belle manière. Ovationné comme rarement, Jonas Kaufmann
donne en bis le très véhément «Zueignung» (premier lied de l’Opus 10), une
fois encore magnifiquement interprété tant par le soliste que par
l’orchestre.
Compte tenu du fait qu’Andris Nelsons a succédé à Sir
Simon Rattle à la tête de l’Orchestre symphonique de Birmingham et qu’il a
parfois reçu le surnom de «nouveau Karajan», il était logique que le jeune
chef letton (né en 1978) inscrive Jean Sibelius (1865-1957) à son programme,
compositeur fréquemment dirigé par ses deux illustres confrères (voir ici).
La Deuxième Symphonie (1902) est une œuvre foisonnante qui allie de manière
extrêmement adroite les sonorités si propres à Sibelius (l’image de vastes
étendues nordiques venant alors très rapidement à l’esprit) aux accents
modernes (dans les ruptures de tonalités) et aux emphases de cordes comme
pouvait les livrer Tchaïkovski par exemple. Le public parisien a fréquemment
eu l’occasion de l’entendre, que ce soit par des phalanges françaises
(l’Orchestre national de France l’ayant notamment donnée sous la direction
d’Eivind Gullberg Jensen et, récemment, sous celle de Manlio Benzi tandis
que l’Orchestre de Paris a pu l’interpréter sous la baguette de Yutaka Sado)
ou étrangères comme le Philharmonique de Los Angeles sous la direction d’Esa
Pekka Salonen ou le Philharmonique de Berlin sous celle de Simon Rattle.
A la tête d’un Orchestre symphonique de Birmingham en grande forme,
Andris Nelsons en offre à son tour une version extrêmement convaincante.
Bénéficiant notamment de cordes soyeuses et générant un volume très
appréciable, Nelsons opte dès le premier mouvement pour une vision très
moderniste de la symphonie, tournant le dos à toute tentation
d’alanguissement, les arêtes se faisant tranchantes, les coupures parfois
brutales, l’attention étant d’ailleurs moins portée aux sonorités qu’à
l’atmosphère générale. Les vents sont excellents, notamment la flûte de
Marie-Christine Zupancic dans le deuxième mouvement (Tempo andante, ma
rubato) que Nelsons aborde de façon extrêmement franche et directe,
renonçant ainsi au dramatisme excessif que pouvait lui conférer un Leonard
Bernstein. Les cordes s’ébrouent joyeusement dans les attaques fébriles du
Vivacissimo inaugurant le troisième mouvement, l’orchestre parvenant à
suivre sans peine Andris Nelsons dont la gestique s’avère pourtant assez
déroutante, le jeune chef tenant fréquemment la barre de son estrade de la
main gauche, contorsionnant à satiété son corps vers les pupitres de violons
ou de violoncelles, sa main droite tenant une baguette qui se veut moins
directive qu’inspiratrice. La légère déception viendra du Finale (Allegro
moderato), pris de façon un peu trop allante, la coda manquant de grandeur,
le crescendo arrivant trop rapidement à son sommet. Il n’empêche: Andris
Nelsons reçoit à son tour une ovation générale, l’orchestre refusant
d’ailleurs à trois reprises de se lever pour qu’il se voie attribuer seul
les applaudissement nourris d’un public conquis. En guise de conclusion,
Nelsons et l’Orchestre symphonique de Birmingham offrent un bis: le superbe
Andante festivo (1922/1939) de Jean Sibelius, concluant ainsi de la plus
belle manière une magnifique soirée.
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