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Qobuz, 29.2.2012
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André Tubeuf |
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Recital, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, le 20/02/2012
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Liederabende parisiennes
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Deux soirées piano-chant, au sommet ; par leur programme toutes les deux,
stricto sensu, soirées de lieder ; les deux devant des salles trop grandes
(par hypothèse) mais combles, enthousiastes et, ce qui est beaucoup plus
rare, se tenant bien : toussant peu, écoutant, laissant au silence (celui de
l’écoute, celui de l’émotion, celui aussi de la gratitude, après) sa juste
part ; l’un est ténor, 42 ans, l’autre baryton, 45, donc l’un comme l’autre
à son propre top et n°1 mondial dans sa catégorie. Mais que de différences,
et même divergences ! Comptons.
On a vu Jonas Kaufmann en très strict
liederabend, Winterreise à Strasbourg naguère, Schöne Müllerin à Paris même.
Son tout premier programme à Paris (à l’Opéra Garnier) avec les Pétrarque de
Liszt et les Michelangelo de Britten, fabuleux de conception et d’exécution
avait beau être pur piano/chant, Liederabend il n’était pas, pas du tout.
Textes pas allemands ; et surtout, accent bien plus mis sur la beauté et
même, dans un registre exposé, la prouesse vocale, que sur un art de faire
chanter les mots. Depuis le beau Jonas est devenu, et à combien juste titre,
l’idole qu’on sait : et toujours (outre le charisme) du fait de la prouesse
vocale, celle-ci ne dédaignant pas quelques maniérismes sur le souffle et
sur le timbre, quelques libertés sur la mesure aussi, bref une façon
généreuse (et payante, mais ayant d’abord payé comptant) d’assumer et
d’imposer ce qui est maintenant plutôt one man’s show, où sont parfaitement
mis en valeur (et le mettent, lui, parfaitement en valeur) des airs d’opéra,
très bien choisis pour.
Du Liederabend son récital du TCE n’a que les
apparences. Duparc, si idéalement mélodique souvent, outre le fait que les
textes sont français, y met une idée vocale conductrice qui s’épanouit,
beaucoup dans l’Invitation au Voyage, immensément dans Phydilé, faisant tout
dans Chanson triste, invitant de fait la voix à l’effusion comme si sa
plasticité, sa beauté, ses effets, sa plénitude, son timbre suffisaient.
Aucun auditeur ayant déjà entendu une fois Duparc n’a pu s’y tromper : ce
soir c’est du vocal pur. Mais quel vocal ! Rosamonde obligeant à aller trop
bon train pour laisser place à l’effet, là on a entendu l’auteur aussi, pas
seulement le ténor. Les Liszt ouvrant la soirée sont hachés, évasifs,
mystérieux, ils obligent l’auditeur à chercher un fil et le chanteur à
construire son discours, à le serrer : Kaufmann y a été admirable (et pas
seulement ténor, comme les Pétrarque ou Fischerknabe du même Liszt auraient
permis). Il est légitime de chanter sans orchestre les Rückert Lieder de
Mahler, mais ils appellent, exigent, une véhémence puis une endurance vocale
qui font éclater le cadre. Ich ging mit Lust était à pleurer de bonheur,
s’envolant, comme rêvé. Mais l’immense étirement d’Ich bin der Welt devient
pure complaisance au souffle, à sa profondeur, à sa plasticité,
immobilisation hypnotique où se perdent le timbre, le sens et jusqu’au
sentiment ; enfin, Um Mitternacht va au fracas, et l’oreille amicalement et
admirativement attentive ne manque pas d’y percevoir qu’à force de
surtimbrer le son comme pour l’imposer et le projeter davantage, la fêlure
vocale est perceptible, n’est pas loin de se faire craquement.
Les
moyens physiques et l’aura de Kaufmann d’une part, l’élan vocalement
mystique de tout ce que Richard Strauss écrit pour la voix d’autre part
étant ce qu’ils sont, la rencontre en fin de programme promettait l’idéal,
et l’a partiellement tenu. Car à force de surtimbrer et surprojeter, le
climax de Cäcilie pourra se trouver à bout de résonance. Kaufmann est la
jeunesse même, il puise dans des forces saines et une énergie sans cesse
ressourcée, et la splendeur du timbre, dans son cas, n’est pas autre chose
que la preuve bénie de cette euphorie physique absolue. Mais à force de
surtimbrer (à quoi s’ajoute une complaisance inverse au systématique
détimbrage, comme dans sa célèbre attaque Gott ! de Florestan), eh bien le
timbre s’érafle çà et là. Il en restait assez pour un admirable Morgen, pris
mezza voce dans ce souffle formidablement substantiel. Il en restera assez,
en bis, pour le Freundliche Vision qui était la merveille absolue de la
soirée. Mais impossible de nier que Breit über mein Haupt par exemple, dont
le titre dit assez le caractère suspendu, y manquait. L’effet piano lui
aussi finit par être produit par force, il sent la force plus que le piano,
on le sent poussé plus que suspendu. Aujourd’hui encore vétilles, et coupage
de cheveux en quatre. Certes. Mais on ne va pas tâcher de moins bien
entendre juste pour rester dans le ton général de l’émerveillement extasié.
On a assez célébré, j’espère, la merveille qu’était le Don Carlos de
Kaufmann à Munich un mois plus tôt.
On sera le 12 mars à la soirée du
TCE où avec orchestre il offrira Mahler encore, les Kindertotenlieder (qui
sont musique et sentiment dicté par le texte avant d’être de la voix) et
Strauss encore : et nul doute que là on retrouvera intact le Kaufmann dont
l’enthousiasme artiste et la jubilation, le générosité vocales inouïes
s’ébrouent un rien trop en liberté dans le cadre à vrai dire terriblement
strict à quoi oblige le lied (où on s’étonne un peu de voir, comme par
contagion, le superbe professeur ès-lied qu’est Helmut Deutsch commencer lui
aussi à s’ébrouer un peu).
Matthias Goerne continuait avec Christoph
Eschenbach....
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