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La Revue du Spectacle, Vendredi 24 Février 2012
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Christine Ducq |
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Recital, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, le 20/02/2012
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Jonas Kaufmann : Le ténor qui renverse les foules
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Une soirée magique lundi dernier, au théâtre des Champs-Élysées, en
compagnie d’un artiste exceptionnel. Jonas Kaufmann porte aux sommets l’art
du chant et nous entraîne très haut sur le mont Parnasse de l’excellence
musicale !
Une fois de plus, le ténor dramatique bavarois a enivré le
public des accents de sa sublime voix orphique, au timbre de baryton, entre
force expressive, puissance vocale et romantisme noir, dans un programme de
lieder*. Il est rare d’assister à un tel miracle et s’il ne nous avait pas
été donné d’entendre le ténor dans le rôle-titre de Werther à l’Opéra
Bastille en 2010, nous n’en aurions pas cru nos oreilles !
L’interprète de lied – ou interprète d’une mélodie intimiste – comme
l’acteur de théâtre, se doit d’être brillant pour éviter l’ennui à
l’auditoire – "Ennui" tant décrié et à juste raison par C. Baudelaire et C.
Debussy ! Et miracle : avec Kaufmann, le lied, vraie pépite d’or, délivre
intensément "la poésie du moment"** et a rendu cette soirée inoubliable.
L’engagement de l’artiste en faveur de ce chant se vérifie dans toutes
ses entrevues**. C’est l’alliance d’un texte écrit par un grand poète
(Goethe, Heine ou Baudelaire) et d’une mélodie, retrouvant les accents de la
poésie lyrique grecque chantée. Le programme de lieder, choisi pour cette
tournée, compte ceux de F. Liszt, H. Duparc (Ô le caressant legato du phrasé
impeccable pour chanter les vers des deux poèmes de C. Baudelaire !) et R.
Strauss. Le récital a été l’occasion de délivrer le charme irrépressible, la
subtile magie de la présence scénique du chanteur lyrique.
La
complicité avec le pianiste Helmut Deutsch a frappé le public (il était son
professeur à l’Académie de musique de Munich). Jonas Kaufmann a souvent fait
l’éloge de la difficulté, de la nécessaire subtilité de l’art du chant
accompagné d’un seul piano, et aussi de la solitude du liedersänger (ou
interprète). Vertus seules qui le font accéder à la "royal class of
singing"**. "Royal" est bien l’adjectif qui convient ici, car étonnante est
la complicité qui se noue avec l’auditoire.
Jonas Kaufmann a choisi
de rendre populaire le lied sur toutes les scènes du monde, parallèlement à
sa carrière d’enfant chéri de la Muse de l’opéra. Carrière qui lui a permis
d’être ovationné mondialement (du Metropolitan Opera de New York à Bayreuth
l’été dernier, où il a chanté le rôle-titre du Lohengrin de R. Wagner).
Donc ce ténor ne veut pas se contenter d’être "un simple" chanteur
d’opéra**, même s’il a révolutionné l’interprétation de bien des rôles
célèbres. Il n’est qu’à se remémorer son magnifique Don José (dans un Carmen
somptueux à Covent Garden à Londres, plus schaupenhauerien que jamais, et
récemment son Carlo dans le Don Carlo de G. Verdi à Munich). Il s’est imposé
rapidement parmi les tout premiers chanteurs de sa génération par
l’intelligence et la compréhension fine de ses prises de rôles, sa présence
magnétique et son humanité chaleureuse et sensible. Et Ô Souvenir Pieux et
Sacré : son Werther !
Une demi-heure de rappels et de bis lundi soir
au théâtre des Champs-Élysées, voilà qui n’est guère habituel à ce public un
brin compassé. Véritable moment de dévotion de la salle, dont certains
spectateurs venaient parfois de très loin pour l’applaudir. La soirée a
permis une fois de plus de vérifier l’ensorcellement de cette voix sombre,
aux capacités semble-t-il infinies, subtile, qui tient les notes comme dans
un rêve, agile entre pianissimo et fortissimo.
Quant à la présence
sur scène, elle est sobre, à mille lieues des rodomontades fatigantes du
ténor gominé d’Epinal – toute en intériorité dense. Quand cette voix
s’éteint, quand le piano se tait, un silence impressionnant plane dans la
belle salle art déco du théâtre. L’émotion qu’on pourrait toucher … La
partie du récital consacrée à G. Mahler fut à mon avis la plus grande.
Comme jamais ont résonné les accents sublimes et déchirants du célèbre
lied (grâce au Mort à Venise de L. Visconti) : "Ich bin der welt abhanden
gekommen" ("Me voilà coupé du monde"). Moment suspendu pendant le concert,
vrai chant de la réminiscence d’un ailleurs introuvable, vrai cri d’une
résignation surnaturelle… "Je suis mort au monde et à son tumulte", dont le
chanteur bavarois a porté au plus haut la noble formule magique.
Bref
! Auditeur et amant de la musique, vous devez courir entendre Jonas Kaufmann
si vous ne le connaissez pas encore. C’est un homme et un artiste hors du
commun, le plus exaltant : LE Chanteur du Siècle !
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