Le Soleil, Canada, 24 avril 2011
Richard Boisvert
Wagner: Die Walküre, Metropolitan Opera, 22. April 2011
 
La Walkyrie: Robert Lepage embrase le Met
 
(New York) La gigantesque machine a peut-être valu à l'équipe de Robert Lepage son lot d'ennuis et de maux de tête, mais elle a cette fois-ci merveilleusement répondu aux attentes. La première de La Walkyrie a été triomphalement accueillie, vendredi, au Metropolitan Opera.

«C'était prodigieux! Je n'oublierai jamais cette soirée!» s'est exclamée une spectatrice à la sortie. Ce commentaire saisi par hasard résume assez bien l'impression laissée par le spectacle dont la durée, en incluant les pauses, dépassait cinq heures.

Le tableau final du second volet de la Tétralogie de Wagner n'a pu que laisser bouche bée, abasourdie, la mâchoire pendante d'admiration chacune des 4000 personnes réunies au Lincoln Center.

La dame a parfaitement raison. Ce moment est inoubliable. Wotan vient de plonger sa fille Brünnhilde dans un profond sommeil pour la punir de sa désobéissance. Le père accablé de douleur fait ses adieux à son enfant préférée qui gît, la tête renversée, au sommet d'un rocher, entourée par les flammes. À un certain moment, la pente du dispositif scénique, jusque-là légère, commence à s'accentuer. La machine s'incline de plus en plus vers la salle pour rejoindre en fin de course un plan parfaitement vertical. Le brasier forme alors autour de la Walkyrie un cercle incandescent qui enflamme tout le cadre de scène. Le point de vue ainsi obtenu donne l'illusion de survoler le rocher. C'est sur cette vision monumentale, géante, voire carrément dantesque, que le rideau tombe. Robert Lepage, il faut le reconnaître, vient de repousser les limites de l'opéra.

Au début du premier acte, les changements de décors sont si réussis qu'on en oublie totalement la fameuse machine. Celle-ci n'est plus une machine, c'est un être vivant qui se métamorphose en un clin d'oeil en une tempête de neige, une forêt, une maison.

On ne peut s'empêcher de penser que Richard Wagner lui-même aurait été impressionné du tour de force accompli par le metteur en scène québécois et ses collaborateurs pour couronner la première journée de son festival scénique.

L'entrée en scène des huit Walkyries a été un autre moment fort. La saisissante apparition des filles, d'abord juchées sur la crête de la machine, puis chevauchant les pales comme s'il s'agissait d'une monture, procure son lot de frissons. Plusieurs spectateurs n'ont pu se retenir d'applaudir d'admiration. Pour reprendre une expression chère à Lepage, l'ambiance du tableau était vraiment rock'n'roll. Quelque chose a toutefois semblé clocher quelques instants plus tard, et l'entrée en scène de Brünnhilde est un peu tombée à plat.

Ces pépins techniques n'ont eu que des conséquences négligeables sur le résultat final. À la fin de la représentation, l'enthousiasme était unanime.

Ovations et bravos

Robert Lepage a été ovationné. James Levine a eu, lui aussi, droit à sa part de bravos. Le chef est peut-être affaibli, mais la passion qui l'habite, elle, n'a pas diminué d'un cran. Le maestro s'est donné totalement. Il ne dirigeait pas, il flottait dans la musique. Il a su faire apprécier à l'auditoire la richesse de la partition jusque dans ses moindres nuances, réussissant à obtenir dans des passages extrêmement ténus un effet dramatique énorme.

Parmi les chanteurs, c'est Stephanie Blythe, qui, dans le rôle de Fricka, remporte la palme de l'accueil le plus délirant. La présence imposante de la cantatrice, ajoutée à la majestueuse ampleur de son registre grave, a manifestement transporté l'auditoire.

Deborah Voigt, qui chantait le rôle de Brünnhilde pour la première fois, a semblé éprouver une certaine fatigue en fin de course.

Le ténor allemand Jonas Kaufmann a, lui, beaucoup plu dans son premier Siegmund en carrière. Ce jeune homme possède non seulement la puissance nécessaire, mais également un timbre d'une tendresse désarmante qui, dans sa dernière scène aux côtés de Sieglinde, exprime une douceur à faire fondre un coeur de pierre.

Les belles couleurs et les nuances très fines du Wotan incarné par Bryn Terfel sont tout aussi remarquables, en particulier dans la longue scène du deuxième acte au cours de laquelle le personnage raconte à Brünnhilde la séquence des événements qui le conduisent à laisser mourir son fils Siegmund. Notons que pour soutenir l'intérêt pendant cette longue scène, Robert Lepage a eu la bonne idée de faire sortir du sol un oeil géant dans lequel, un peu à la manière d'une boule de cristal qui fonctionnerait à l'envers, on peut lire les événements du passé.

Quelques minutes avant le début du deuxième acte, le directeur général du Met est venu annoncer qu'Eva-Marie Westboeck, l'interprète de Sieglinde, se sentait mal et qu'il se pourrait qu'elle doive renoncer à chanter la suite de l'oeuvre. Effectivement, elle n'est jamais revenue. Margaret Jane Wray a pris la relève avec beaucoup d'aplomb.


 






 
 
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