Anaclase
par bertrand bolognesi
 
Beethoven: Fidelio, München, 4. Juli 2011
 
Fidelio - opéra de Ludwig van Beethoven
 
Au peu de succès rencontré par l’unique opéra de Beethoven lors de la création de sa première version, la production rend malgré elle un criant hommage. Les temps ont changé, et les raisons qui prévalent à cette déconvenue ne sauraient être les mêmes ; si la bouderie de 1805 était liée aux circonstances, le ratage de 2010 (puisque cette production fut donnée pour la première fois le 21 décembre dernier) n’est dû qu’aux excès et contresens de Calixto Bieito. Ce metteur en scène, réputé pour volontiers bousculer les idées reçues, signait à Stuttgart un travail remarquable avec Jenůfa [lire notre chronique du 21 février 2007]. Mais à parler d’idées reçues, tout donne à penser qu’à l’heure actuelle l’inventif Catalan s’en tienne à une grille de lecture qu’il a systématisée, autrement dit à des tics, celui d’obligatoirement détourner le contexte d’une œuvre dans un univers personnel qui ne se renouvèle plus n’étant pas des moindres.

Ainsi, ce Fidelio arbore-t-il tous les articles du catalogue Bieito, articles poussiéreux, parfois même rouillés, d’un catalogue en faillite. La réalisation se fourvoie de bout en bout, jusqu’à mésuser de motifs redondants jadis imaginés à raison qui se retrouvent aujourd’hui décoratifs, pourrait-on dire, et vides de sens. Rien de grave, encore, si cette mise en scène se laisse oublier… mais voilà justement que ce n’est pas le cas, de sorte qu’elle dévore Fidelio dont se perçoivent mal le texte, l’intrigue, l’argument – le sens, une nouvelle fois. Seulement, l’œuvre est trop forte pour se laisser ainsi manger trop crue : de la lutte entre un interprète abusif et un opéra si important, le public souffre tant qu’il refuse. Il faut dire que le rôle de Florestan est tenu ce soir par Jonas Kaufmann, et comme l’on sait, Florestan intervient au second acte : il ne saurait donc être indifférent qu’un cinquième de la salle, dont nombreux sont ceux qui viennent aussi écouter le ténor en vedette, qui plus est l’enfant chéri du pays, décide de renoncer à ce plaisir et quitte les lieux à l’entracte.

L’on s’attachera donc plutôt aux autres aspects qui font une représentation d’opéra, aspects plutôt satisfaisants, fort heureusement. Les soirées de décembre étaient dirigées par Daniele Gatti, celles de juillet devaient l’être par Fabio Luisi, et c’est finalement Ádám Fischer qui conduit les musiciens du Bayerisches Staatsorchester. Sonne d’emblée une ouverture Leonore III de grande tenue, à la fois ferme et grave, qui impose un climat profond, lourd, à la respiration nerveuse. Outre d’avoir choisi de commencer par cette ouverture-là l’exécution de l’ultime version de 1814, décision fut prise de ne pas jouer Leonore II avant la scène conclusive de l’Acte II, comme c’est la tradition : à la place, le Quatuor LazArt donne le Molto adagio du Quatuor en la mineur Op.132 de Beethoven, éclaircissant d’une intimité saisissante (un effet « en creux », dira-t-on, très sensible) le drame privé juste avant le surgissement de la manne royale – ici Don Fernando assimilé au Jocker d’Heath Ledger (The Dark Knight, Christopher Nolan, 2009), d’une affligeante sottise.

À une fosse infaillible et inspirée se conjuguent un plateau vocal flatteur dont on ne regrettera que les vociférations monolithiques de Wolfgang Koch en Pizarro. Certes, le personnage est une brute, qui plus est dans cette production qui en scelle plus qu’aucune autre la caricature, mais ce n’est guère faire confiance au compositeur que d’en simplifier ainsi le chant. Il s’avère que le baryton possède la puissance qu’on lui demande, à en user jusqu’à plus soif, sans soin du style ni de l’intonation, souvent malmenée. On découvre la jeune Laura Tatulescu en Marzelline, une voix qui va se bonifiant au fil du spectacle, malgré un bas-médium un rien fragile. Le reste de la distribution fait notre bonheur, avec l’irréprochable Fernando de Steven Humes, l’attachant Rocco de Franz-Josef Selig, remarquablement musical, et, bien sûr, le couple principal, Florestan lumineux et corsé de Jonas Kaufmann et Leonore immensément nuancée d’Anja Kampe. Mention spéciale pour Jussi Myllys, excellentissime Jaquino, à la fois clair et largement impacté.






 
 
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