Canard Enchaîné, 20 janvier 2010
Luc Décygnes
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010 (Vorstellung vom 17.1.2010)
Les souffrances du jeune Werther
(Jeu de jonquilles)

"Les souffrances du jeune Werther" sont un petit roman épistolaire qui fit quelque bruit en Allemagne dans les années 70 – 1770, s'entend. L'auteur, Johann Wolfgang Goethe, n'avait que 24 ans quand il publia cet ouvrage. A sa parution, on compta des suicides en masse. Les jeunes gens portaient des gilets jonquille et allaient se griller la cervelle allégrement. On était entré de plain-pied dans le Sturm und Drang. Tempête et élan. Et M. Werther était devenu le héros de cette jeunesse aux nerfs à vif.

L'autre soir, à l'Opéra-Bastille où était affiché l'opéra que Jules Massenet avait tiré des déboires amoureux du jeune Allemand, ce n'est pas des coups de pistolet qu'on entendait mais de larges reniflements. Les dames étouffaient leur émotion dans leur mouchoir et les hommes essuyaient la buée de leurs lunettes. Faut dire que la représentation avait été exceptionnelle. Pour tout dire, à tous les rangs, on pissait de l'œil. On en pardonnait même à Massenet de s'être accroché à cette bonne Allemagne avec ses bocks de bière et ses prêches du dimanche. Mais tout cela est si finement ajusté par Benoît Jacquot, à qui l'on doit par ailleurs tant de curieux et beaux films comme "La Fausse Suivante" d'après la pièce de Marivaux, qu'on se laisse emporter dans cette tempête du sentiment. Les décors (Charles Edwards) sont élégants, sans chiqué, de même que les costumes (Christian Gasc). Le gilet jonquille est là. Auriez-vous imaginé un Werther sans son gilet ? Que serait Alceste sans ses rubans verts ? Le monde irait de travers.

Pour les protagonistes, ils sont la perfection. La Charlotte de Sophie Koch est belle et pulpeuse comme sa voix. Ce qu'elle fait est profond. Elle se rend puis se reprend, elle se laisse manipuler par Albert. Elle comprend trop tard le piège qu'il lui a tendu avec les pistolets. Ludovic Tézier en Albert montre tout de suite qu'il est d'une tout autre nature. Son ample front prédispose à des bois. Jonas Kaufmann en Werther est tout simplement prodigieux. Il possède la morbidesse du personnage. Il chevauche la partition en transe. Il se détruit avec joie. Il est beau, élégant, et possède une des plus belles voix de ténor qu'on puisse entendre. Le Bailli d'Alain Vernhes est parfait, comme la Sophie d'Anne-Catherine Gillet. L'Orchestre de l'Opéra sonne magnifiquement. Quand au maestro Plasson, il règne sur cette partition dont il connaît les tours et les détours.

 






 
 
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