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Anaclase |
Isabelle Stibbe |
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010
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"werther", opéra de jules massenet
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Alors qu'en vingt-cinq ans, Werther avait
disparu de l'affiche de l'Opéra de Paris, deux productions - l'une
programmée par Gerard Mortier lors de son dernier mandat [lire notre
chronique du 6 mars 2009], l'autre par Nicolas Joël pour inaugurer le sien,
y sont montées en l'espace d'un an. Sans jouer au jeu des différences,
disons au moins que cette nouvelle produc-tion, conçue pour Covent Garden en
2004, se présente très alléchante sur le papier : prise de rôle pour
Jonas Kaufmann dans Werther, première mise en scène d'opéra du cinéaste
Benoît Jacquot (qui avait cependant filmé Tosca avec Roberto Alagna et
Angela Gheorghiu), direction de Michel Plasson dans son répertoire de
prédilection (son Werther avec Alfredo Kraus fait toujours partie des
enregistrements d'anthologie).
Si la mise en scène de Benoît Jacquot est classique, reprenant à la lettre
les indications du livret (fontaine du 1er acte, banc du 2ème, etc.) et
jusqu'au gilet jaune de Werther décrit par Goethe, le cinéaste surprend par
sa volonté de placer l'œuvre d'emblée dans le tragique. La gaieté, le charme
naïf de la vie à la campagne, peuplée de chants, de tartines et d'habitudes
simples, sont escamotés par l'apparition silencieuse du héros qui précède le
grand éclat de rire des enfants et empêche le spectateur de croire à la
possibilité d'un destin heureux.
Apparition. Le terme prend presque ici valeur religieuse tant le ténor
fait figure de demi-dieu descendu chez les hommes, comme on put l'écrire
autrefois de Gérard Philipe. Du héros romantique, il a la jeunesse et le
physique ténébreux, la présence forte et poétique, l'air de ne pas
appartenir à ce monde. Cette incarnation parfaite se matérialise jusque dans
la voix : là où des ténors italiens ou sud-américains éclairent le rôle de
leurs voix solaires, le timbre sombre, presque de baryton, de l'Allemand
noircit le personnage d'une couleur tragique hantée par la mort et la
tentation du suicide. Jonas Kaufmann chante l'opéra comme des lieder, y
véhiculant une richesse expressive, une palette de coloris subtils, une
science des nuances qui rendent son interprétation hautement musicale.
La Charlotte de Sophie Koch lui fournit un bon contrepoint. Sa voix charnue
de mezzo l'ancre davantage dans la terre. C'est moins par son timbre que par
sa gestuelle qu'elle montre son trouble : frôlements de mains vite retirées
par peur de se toucher, de s'embraser, ballet muet autour de Werther entre
attirance et retenue, tel un papillon captivé par la lumière mais craignant
de s'y brûler. Ludovic Tézier, comme toujours, compose un Albert de grande
classe même si (soir de première ?) on le sent un peu retenu. Le reste de
cette grande distribution vocale est à l'avenant, d'Anne-Catherine Gillet
interprétant une Sophie fruitée au vieux routier Alain Vernhes dans le rôle
du Bailli.
Quant à la baguette de Michel Plasson, elle se montre d'une sensualité
élégiaque qui ferait aimer Massenet aux plus blasés. Il est, en cela,
remarquablement secondé par un Orchestre de l'Opéra national de Paris
sensible qui s'électrise au fur et à mesure de la représentation. Du haut
niveau ! |
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