ClassicToulouse, 14/01/2010
Robert Pénavayre
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010
Un incroyable moment de grâce
 
Nicolas Joel vient de réussir, pour les présentes reprises de Werther, l’une de ses distributions dont il a le secret et qui sont destinées à s’inscrire immédiatement dans la légende de l’art lyrique.

En ovationnant Michel Plasson lors de sa montée au pupitre en début de soirée, le public donne le ton, un public qui sait que tout est réuni pour qu’il passe un moment magique. Et il était encore loin du compte…

Passée la première surprise du décor  de Charles Edwards (cette production achetée par l’Opéra de Paris a été créée à Londres en 2004), un décor qui, dans son austérité, suggère violemment le rigorisme protestant, la mise en scène de Benoît Jacquot, dans son apparente simplicité, se révèle cependant être une véritable psychanalyse des deux protagonistes principaux, Charlotte et Werther.

Charlotte fuit tout contact physique avec Werther et l’on se pose même de sérieuses questions quant à ses rapports intimes « post mariage» avec Albert, refusant à ce dernier, au 2nd acte, de lui offrir une main que le pauvre diable quémande pitoyablement. Le 3ème acte et l’étreinte que lui arrache Werther tient plus de la tentative de viol que d’un tendre enlacement amoureux. Fracture psychique, poids d’une éducation, le personnage de Charlotte apparaît ici beaucoup plus complexe qu’à l’habitude. Werther est un romantique pur et dur, rêveur, empli d’une fièvre qu’il peine à contenir, extatique et suicidaire tout à la fois. Le travail du metteur en scène est une véritable mise en abîme de ces deux personnages. Il le fait sur un plateau débarrassé de tout superflu, focalisant sur la tension palpable qui relie Charlotte à Werther. Les très beaux éclairages originaux de Charles Edwards soulignent la complexité du drame et de cette relation. Les personnages secondaires ne sont qu’ébauchés et n’ont accès à la lumière que parcimonieusement.

Tout se passe ailleurs et particulièrement dans la musique de Massenet. Michel Plasson fait ici entrer cette partition dans une nouvelle dimension, les tempêtes les plus foudroyantes alternant avec des instants de grâce littéralement suspendus dans les airs. Inouï. Bouleversant. A vrai dire, on peut se demander pourquoi cet artiste était absent de notre première scène nationale depuis des décennies ! Et l’on peut se demander aussi comment la prise de rôle du ténor Jonas Kaufmann aurait pu atteindre une telle intensité musicale sans Michel Plasson.

Bien sûr, tout le monde lyrique attendait LE Werther du ténor allemand, celui-là même qui bouscule en permanence les plus anciennes comme les plus historiques de nos références. Et il fut tel… qu’on n‘osait même pas en rêver. Dans un français stupéfiant de netteté, y compris lors de plus infimes demi teintes que cet interprète maîtrise à la perfection, Jonas Kaufmann chante un Werther tout simplement fabuleux, autant musicalement que dramatiquement. Phrasé, dynamique, style, puissance, élégance, tout chez ce ténor est superlatif et il paraît dorénavant difficile d’imaginer Werther autrement. Le paradigme qu’il vient de créer pour ce rôle était tout simplement inimaginable.

Ses partenaires ne déméritent pas, bien au contraire. Il en est ainsi  de Sophie Koch, Charlotte engagée aux aigus lumineux, Ludovic Tézier, sombre et sonore Albert, Anne-Catherine Gillet, une luxueuse Sophie, Alain Vernhes, toujours étonnant Bailli, Andreas Jäggi (Schmidt) et Christian  Tréguier (Johann).

La formidable acclamation au rideau final, juste gâchée par quelques sifflets à l’attention de la production (mais sans eux Paris ne serait pas Paris…) en dit long sur la qualité de cette soirée. Un sommet d’une rare intelligence.
Précipitez-vous sur vos magnétoscopes car Arte diffuse en direct ce Werther le 26 janvier 2010 à  20h35. Il est des interprétations urgentes à immortaliser !






 
 
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