En
ovationnant Michel Plasson lors de sa montée au pupitre en début de soirée,
le public donne le ton, un public qui sait que tout est réuni pour qu’il
passe un moment magique. Et il était encore loin du compte…
Passée la première surprise du décor de Charles Edwards (cette production
achetée par l’Opéra de Paris a été créée à Londres en 2004), un décor qui,
dans son austérité, suggère violemment le rigorisme protestant, la mise en
scène de Benoît Jacquot, dans son apparente simplicité, se révèle cependant
être une véritable psychanalyse des deux protagonistes principaux, Charlotte
et Werther.
Charlotte fuit tout contact physique avec Werther et l’on se pose même de
sérieuses questions quant à ses rapports intimes « post mariage» avec
Albert, refusant à ce dernier, au 2nd acte, de lui offrir une main que le
pauvre diable quémande pitoyablement. Le 3ème acte et l’étreinte que lui
arrache Werther tient plus de la tentative de viol que d’un tendre
enlacement amoureux. Fracture psychique, poids d’une éducation, le
personnage de Charlotte apparaît ici beaucoup plus complexe qu’à l’habitude.
Werther est un romantique pur et dur, rêveur, empli d’une fièvre qu’il peine
à contenir, extatique et suicidaire tout à la fois. Le travail du metteur en
scène est une véritable mise en abîme de ces deux personnages. Il le fait
sur un plateau débarrassé de tout superflu, focalisant sur la tension
palpable qui relie Charlotte à Werther. Les très beaux éclairages originaux
de Charles Edwards soulignent la complexité du drame et de cette relation.
Les personnages secondaires ne sont qu’ébauchés et n’ont accès à la lumière
que parcimonieusement.
Tout se passe ailleurs et particulièrement dans la musique de Massenet.
Michel Plasson fait ici entrer cette partition dans une nouvelle dimension,
les tempêtes les plus foudroyantes alternant avec des instants de grâce
littéralement suspendus dans les airs. Inouï. Bouleversant. A vrai dire, on
peut se demander pourquoi cet artiste était absent de notre première scène
nationale depuis des décennies ! Et l’on peut se demander aussi comment la
prise de rôle du ténor Jonas Kaufmann aurait pu atteindre une telle
intensité musicale sans Michel Plasson.
Bien
sûr, tout le monde lyrique attendait LE Werther du ténor allemand, celui-là
même qui bouscule en permanence les plus anciennes comme les plus
historiques de nos références. Et il fut tel… qu’on n‘osait même pas en
rêver. Dans un français stupéfiant de netteté, y compris lors de plus
infimes demi teintes que cet interprète maîtrise à la perfection, Jonas
Kaufmann chante un Werther tout simplement fabuleux, autant musicalement que
dramatiquement. Phrasé, dynamique, style, puissance, élégance, tout chez ce
ténor est superlatif et il paraît dorénavant difficile d’imaginer Werther
autrement. Le paradigme qu’il vient de créer pour ce rôle était tout
simplement inimaginable.
Ses partenaires ne déméritent pas, bien au contraire.
Il en est ainsi de Sophie Koch, Charlotte engagée aux aigus lumineux,
Ludovic Tézier, sombre et sonore Albert, Anne-Catherine Gillet, une luxueuse
Sophie, Alain Vernhes, toujours étonnant Bailli, Andreas Jäggi (Schmidt) et
Christian Tréguier (Johann).
La formidable acclamation au rideau final, juste gâchée par quelques
sifflets à l’attention de la production (mais sans eux Paris ne serait pas
Paris…) en dit long sur la qualité de cette soirée. Un sommet d’une rare
intelligence.
Précipitez-vous sur vos magnétoscopes car Arte diffuse en direct ce
Werther le 26 janvier 2010 à 20h35. Il est des interprétations urgentes à
immortaliser ! |