Libération, 16.01.10
Éric Dahan
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010
Un pur "Werther"
 

Le ténor allemand Jonas Kaufmann enflamme Bastille dans le rôle-titre du drame romantique de Jules Massenet mis en scène par Benoît Jacquot.

Le Werther de Massenet avait été absent de l'Opéra de Paris depuis vingt-cinq ans lorsqu'il y fit son retour en mars dernier dans une production invitée du Staatsoper de Munich; Ainsi, Gérard Mortier – dont c'était la dernière saison à la tête de l'institution – coupait l'herbe sous le pied de son successeur, Nicolas Joël, fervent défenseur du romantisme français, dont Werther est l'un des fleurons.

Cela n'a pas empêché l'ex-directeur du Capitole de Toulouse d'inviter, pour sa première saison parisienne, la production conçue par Benoît Jacquot pour l'Opéra Royal Covent Garden de Londres en 2004, remontée pour Bastille et dévoilée jeudi soir. Un triomphe annoncé pour trois raisons : la présence du ténor superstar Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, une direction d'orchestre confiée à Michel Plasson – qui grava il y a trente ans la version de référence de l'oeuvre avec le ténor Alfredo Kraus – et enfin une mise en scène de Benoït Jacquot, dont la Tosca pour le cinéma, en 2001, concilia souffle et précision.

FIDELITE.. Dans la fosse de Bastille, il y a quelques mois, le Werther de Kent Nagano avait sonné bien court aux oreilles des fans de Massenet. Dès les premières mesures orageuses, Plasson répare l'outrage, déployant des couleurs orchestrales autrement magiques, sur des tempos lents et parfois alanguis, au risque de décalages fréquents avec les chanteurs. Aux antipodes de la production spectaculaire de Jürgen Rose, qui faisait littéralement tournoyer l'univers autour du héros, le Werther de Jacquot est d'une fidélité janséniste aux didascalies du livret dont il tire, avec son décorateur Charles Edwards, des tableaux naturalistes épurés, d'une grande puissance évocatrice.

Avec Tosca, Jacquot s'était révélé un précieux metteur en scène d'opéra, ne cherchant pas à interpréter les oeuvres ni à fouiller l'âme des personnages jusqu'à l'hystérie, façon Patrice Chéreau ou Olivier Py. On peut appeler çà du premier degré – ce que doivent penser ceux qui ont hué Jacquot au moment des saluts – mais c'est surtout une façon de découper l'espace qui laisse respirer la musique. Si le premier air de Jonas Kaufmann électrise de naturel élégiaque, c'est aussi grâce à cette direction d'acteurs économe et affûtée, aux costumes de bon goût d'André Gasc et à l'art subtil des lumières d'André Diot épousant à vue les changements climatiques de la partition.

RAFFINEMENT. La musique peut plonger dans les tumultes de l'âme et le romantisme allemand, les images restent françaises, simples et lisibles, à l'instar du chant servi par une distribution exemplaire : le Bailli toujours aussi convaincant d'Alain Vernhes, l'Albert puissant et nuancé du baryton Ludovic Tézier. Et, côté dames,la soprano Anne-Catherine Gillet en Sophie et la mezzo Sophie Koch, Charlotte intense et de haute tenue vocale, à laquelle on reprochera seulement un manque de chaleur et de franchise de l'articulation.

Mais la sensation de la soirée reste Jonas Kaufmann, conjuguant contention de la ligne et lyrisme inflammatoire avec une intelligence musicale et dramatique qui fait paraître bien vulgaires ses rivaux actuels. Physique ravageur, timbre de soleil noir décanté de tout maniérisme, français d'un raffinement irréel, le ténor allemand, qui règne désormais sur la planète lyrique, du Met new-new-yorkais à Salzbourg, a déposé de nouveaux standards dans Werther et encore laissé Bastille en état de choc.

 






 
 
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