Le ténor allemand Jonas Kaufmann enflamme Bastille dans le rôle-titre
du drame romantique de Jules Massenet mis en scène par Benoît Jacquot.
Le Werther de Massenet avait été absent de l'Opéra de Paris depuis
vingt-cinq ans lorsqu'il y fit son retour en mars dernier dans une
production invitée du Staatsoper de Munich; Ainsi, Gérard Mortier – dont
c'était la dernière saison à la tête de l'institution – coupait l'herbe sous
le pied de son successeur, Nicolas Joël, fervent défenseur du romantisme
français, dont Werther est l'un des fleurons.
Cela n'a pas empêché l'ex-directeur du Capitole de Toulouse d'inviter, pour
sa première saison parisienne, la production conçue par Benoît Jacquot pour
l'Opéra Royal Covent Garden de Londres en 2004, remontée pour Bastille et
dévoilée jeudi soir. Un triomphe annoncé pour trois raisons : la présence du
ténor superstar Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, une direction d'orchestre
confiée à Michel Plasson – qui grava il y a trente ans la version de
référence de l'oeuvre avec le ténor Alfredo Kraus – et enfin une mise en
scène de Benoït Jacquot, dont la Tosca pour le cinéma, en 2001, concilia
souffle et précision.
FIDELITE.. Dans la fosse de Bastille, il y a quelques mois, le Werther de
Kent Nagano avait sonné bien court aux oreilles des fans de Massenet. Dès
les premières mesures orageuses, Plasson répare l'outrage, déployant des
couleurs orchestrales autrement magiques, sur des tempos lents et parfois
alanguis, au risque de décalages fréquents avec les chanteurs. Aux antipodes
de la production spectaculaire de Jürgen Rose, qui faisait littéralement
tournoyer l'univers autour du héros, le Werther de Jacquot est d'une
fidélité janséniste aux didascalies du livret dont il tire, avec son
décorateur Charles Edwards, des tableaux naturalistes épurés, d'une grande
puissance évocatrice.
Avec Tosca, Jacquot s'était révélé un précieux metteur en scène d'opéra, ne
cherchant pas à interpréter les oeuvres ni à fouiller l'âme des personnages
jusqu'à l'hystérie, façon Patrice Chéreau ou Olivier Py. On peut appeler çà
du premier degré – ce que doivent penser ceux qui ont hué Jacquot au moment
des saluts – mais c'est surtout une façon de découper l'espace qui laisse
respirer la musique. Si le premier air de Jonas Kaufmann électrise de
naturel élégiaque, c'est aussi grâce à cette direction d'acteurs économe et
affûtée, aux costumes de bon goût d'André Gasc et à l'art subtil des
lumières d'André Diot épousant à vue les changements climatiques de la
partition.
RAFFINEMENT. La musique peut plonger dans les tumultes de l'âme et le
romantisme allemand, les images restent françaises, simples et lisibles, à
l'instar du chant servi par une distribution exemplaire : le Bailli toujours
aussi convaincant d'Alain Vernhes, l'Albert puissant et nuancé du baryton
Ludovic Tézier. Et, côté dames,la soprano Anne-Catherine Gillet en Sophie et
la mezzo Sophie Koch, Charlotte intense et de haute tenue vocale, à laquelle
on reprochera seulement un manque de chaleur et de franchise de
l'articulation.
Mais la sensation de la soirée reste Jonas Kaufmann, conjuguant contention
de la ligne et lyrisme inflammatoire avec une intelligence musicale et
dramatique qui fait paraître bien vulgaires ses rivaux actuels. Physique
ravageur, timbre de soleil noir décanté de tout maniérisme, français d'un
raffinement irréel, le ténor allemand, qui règne désormais sur la planète
lyrique, du Met new-new-yorkais à Salzbourg, a déposé de nouveaux standards
dans Werther et encore laissé Bastille en état de choc.
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