Le Monde, 15.01.10
Renaud Machart
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010
Un grand "Werther" à l'Opéra de Paris
 

On ne sait pourquoi, en février 2009, au cours de sa dernière saison à la tête de l'Opéra de Paris, Gérard Mortier avait loué la très mauvaise production de Werther (1892), de Jules Massenet (1842-1912), montée pour l'Opéra de Munich par Jürgen Rose. Pour faire la nique à son successeur, Nicolas Joël, qui désirait, dès sa première saison, remettre à l'affiche de l'Opéra de Paris une oeuvre qui en était curieusement absente depuis plusieurs lustres ? Une promesse faite à Susan Graham, éminente Charlotte ? Un bouche-trou de dernière minute ?

Contacté au téléphone, Nicolas Joël dément la première rumeur : "Gérard Mortier ne savait pas que je souhaitais monter le Werther de Benoît Jacquot pour le Covent Garden de Londres en 2004. Nous avons racheté cette production, qui est désormais propriété de l'Opéra de Paris." Par souci d'économie ? "Non, avant tout parce que je la juge excellente. Mais il est vrai qu'un rachat de ce type coûte en gros cinq fois moins cher qu'une nouvelle production, d'autant qu'elle sera amortie par des reprises, avec, qui sait, peut-être Roberto Alagna dans le rôle-titre..."

Pour l'heure, Werther est incarné par "le" ténor du moment : l'Allemand Jonas Kaufmann. Timbre sublime (chaud, parfois "barytonant", "musqué"), musicalité exceptionnelle, très large palette de nuances, diction soignée (à quelques rares déviations phonétiques près). Ajoutez à cela des dons de comédien et une allure d'idole des matinées et vous obtenez un cocktail de qualités rarement réunies à l'opéra.

Peut-on oser tout de même l'expression d'une réserve ? S'il donne, grâce à un chuchotement extraordinaire, une crédibilité supplémentaire à la fin de l'ouvrage, le son "couvert" de sa voix, dans certaines nuances très douces, manque un peu de projection dans la grande salle de la Bastille, à laquelle on eût préféré le Palais Garnier. Mais Kaufmann attire les foules et la jauge de Bastille est plus importante que celle de l'opéra Garnier...


Sophie Koch (Charlotte) est plus à l'aise que Susan Graham dans l'aigu du rôle. Quelle noblesse extraordinaire que celle de cette chanteuse française, qu'il était temps de voir en tête d'affiche sur la scène nationale alors qu'elle l'a été partout ailleurs depuis quelques années... Sa diction, son chant et sa présence ont autant de contrôle que de naturel. Idéal.

Le chef d'orchestre Michel Plasson fait des merveilles. Ce n'est pas toujours le roi de la mise en place au cordeau : les deux premiers actes le montrent un rien languide et dévertébré à l'occasion, mais dans les deux suivants, il fait sonner l'orchestre comme peu : le prélude de l'acte IV est un des plus beaux qu'on ait entendu, d'une tristesse rageuse. Il respire avec ses chanteurs - et l'orchestre avec eux.

La mise en scène de Benoît Jacquot, sa première pour une scène lyrique, joue avec délice le jeu de la convention et la littéralité. Mais derrière cette apparente prudence, se niche un propos d'une vraie intelligence et d'une rare sensibilité. Peu ont compris et restitué comme il le fait le vide de cet univers dépressif, la fausse joie enfantine, entre père veuf et église, entre la promesse faite à une mère disparue et un mariage qui n'est que de raison. Lorsque Johann et Schmidt célèbrent Bacchus au bord d'un abîme deviné et devant un ciel gris de dimanche sans fin, tout est dit.

 






 
 
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